2. Les entretiens

La présence, en éclairage, d'entretiens dans ce corpus s'est imposée à nous pour plusieurs raisons. Tout d'abord, travaillant avec une population de personnes sans domicile, il nous semblait intéressant de les associer à cette recherche en leur accordant un statut de témoin privilégié. A ce titre, nous avons effectué des entretiens non-directifs de recherche de type psychosocial et non pas des entretiens de nature thérapeutique ou clinique. Il n'était pas question pour nous de désigner ces personnes comme exclues, encore moins de rechercher dans leur passé les présages de leurs difficultés actuelles. Effectuant une étude des représentations véhiculées sur les S.D.F., il nous est apparu enrichissant de déplacer notre écoute et d'entendre la parole de ceux qui alimentent et supportent le poids de ces représentations. Nous avons tenté de saisir la manière dont ces individus, fortement stigmatisés au sein de l'espace public et à l'identité disqualifiée, entendent les discours véhiculés sur les S.D.F., les intériorisent ou les reformulent, la façon dont ils négocient leur identité et les stratégies mises en place afin de sauvegarder l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. De plus, il nous paraît primordial d'insister sur le fait que ces derniers produisent eux aussi un discours sur l'exclusion, formulent des représentations et des typologies de l'individu sans domicile. Dans ce cadre, il s'est avéré opportun de confronter les différents discours, leurs décalages mais aussi leurs similarités car ces hommes sans domicile participent au système de valeurs et de normes collectives et contribuent à construire, par les catégories qu'ils élaborent, la réalité sociale. Cette perspective adoptée nous a permis, ainsi, de mesurer l'articulation entre discours collectif et parole individuelle, de mettre à jour les alliances ou les conflits greffés sur cette articulation et d'entendre, par là, l'homme dans sa culture. Concernant ce dernier volet, le choix d'effectuer des entretiens justement auprès de personnes sans domicile a été motivé par l'appartenance de ces dernières à la catégorie extrême de l'exclusion. Dès lors, les représentations formulées seront d'autant plus fortes qu'elles sont énoncées par ceux qui en portent le fardeau. Par là, l'intériorisation d'un discours dominant n'en sera que plus visible.

Trois entretiens de type non-directif seront analysés à la suite de notre étude de presse. Ces derniers ont été effectués sur les années 1999 et 2000 et sont présentés en Annexe 6. L'articulation que nous ferons entre ces différentes données (discours médiatiques et entretiens individuels) reposera sur les représentations et la mise à jour des matrices gouvernant les discours. Pour cela, nous nous extrairons du champ de la revendication médiatique et de l'unique problématique du logement afin de dépasser ce premier discours, simple support sur lequel les matrices culturelles s'expriment. Nous avons privilégié une méthode d'analyse thématique et transversale de nos entretiens afin de rendre audible l'écho du collectif dans la parole singulière. Nous présenterons plus en détail les modalités de passation et le procédé d'analyse en quatrième partie.