CHAPITRE I. DE LA PAUVRETE A L'EXCLUSION : EVOLUTION D'UNE CATEGORISATION SOCIALE

SECTION I. L'habitat en question

1. Le contexte d'après guerre

A la Libération, la France entreprend une vaste tâche de reconstruction. Beaucoup de logements ont été détruits par les bombardements et une population nombreuse vit dans des habitations précaires ou se retrouve sans abri. La question des taudis va alimenter le débat sur la pauvreté et le type de logement habité servira d'indicateur afin de catégoriser les plus pauvres. On parlera, alors, "d'économiquement faibles" et cette catégorie regroupera, dans un vaste ensemble hétéroclite, clochards, familles nombreuses, veuves démunies, handicapés, prostituées… Le syntagme sans-abri, répandu dans les années cinquante, désigne à cette époque les sinistrés ayant perdu leur logement dans les bombardements. Les sans-logis ou mal logés se situent, quant à eux, aux marges du monde ouvrier. Néanmoins, cette nuance de langage est rapidement balayée par la désignation générique "d'inadaptés sociaux". Les premiers centres d'hébergement et de réadaptation sociale apparaissent et leur mission consiste à accueillir mais aussi à réadapter des individus considérés comme "(…) mentalement déséquilibrés ou bien comme des malheureux brisés (…)" 194 . La pénurie des logements et les conditions de vie des plus pauvres allaient atteindre une visibilité nouvelle en alertant l'opinion publique. "Le mouvement des squatters" (1953), utilisant le droit de réquisition des immeubles inoccupés, relogea quelques personnes sans abri ou mal logées. Ce mouvement allait préfigurer une action de plus grande envergure parce que fortement médiatisée: "l'appel de l'hiver 54". Sur les ondes de Radio-Luxembourg, alors que le froid fait des victimes parmi les populations expulsées ou sans logement, l'Abbé Pierre lance "l'insurrection de la bonté" et cet appel semble bien être la première forme d'assistance médiatisée ayant recours à la charité publique 195 . Dès lors, aux individus sans abri, marginaux et isolés se substitue l'image de familles victimes de la pauvreté et confrontées à la pénurie de logements sociaux. la construction des premières cités d'urgence 196 (conçues au départ comme provisoires) fut une des réponses politiques à cette pénurie et c'est dans l'une d'elles, Noisy-le-Grand, que J. Wresinski officia dès 1956 comme aumônier et créa le mouvement A.T.D (Aide à toute Détresse) Quart-Monde.

Notes
194.

C. Bachmann et N. Leguennec, Violences urbaines. Ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville, A. Michel éd., 1996, p. 187.

195.

P. Sassier, Du bon usage des pauvres. Histoire d'un thème politique, XVI ième -XX ième siècle, Fayard éd., 1990.

196.

Décret du 31 mars 1954 autorisant la construction de logements de première nécessité.