2. La mouvance A.T.D Quart-Monde

Jusqu'à la fin des années soixante, l'attention s'est portée sur ce que l'on appelait "la pauvreté résiduelle". Dans une société qui croyait en un avenir radieux et opulent, ces îlots de pauvreté représentaient les familles ou les individus n'ayant pu s'adapter au train en marche de la modernité. Les économistes, en calculant le budget minimal assurant la survie d'un foyer, parlaient de "pauvreté absolue". Les populations rassemblées sous cette désignation devaient être réadaptées et l'accompagnement socio-éducatif qui s'y employait avait aussi pour tâche d'opérer des tris en sélectionnant les populations jugées aptes à être relogées dans des H.L.M. et en les différenciant des familles pour lesquelles la relégation dans le transitoire des cités d'urgence prenait la forme d'une condamnation définitive. Le mouvement A.T.D. désignera cette dernière population, dont il entendait faire partie, par l'appellation "Quart-Monde" en référence au quatrième ordre dont Dufourny de Villiers s'était fait le porte-parole en 1789: "Une partie des plus pauvres aujourd'hui ont pour ancêtres ceux qui apposèrent une croix aux cahiers de doléances établis par l'abbé de Villary en 1789, en lui disant leur nom et leur métier et que Dufourny de Villiers appela par la suite le quatrième ordre." 197 Cette référence au quatrième ordre suggère le scandale d'une pauvreté qui, malgré la modernité, se pérennise et se transmet de génération en génération. Le mouvement A.T.D. va attirer l'attention sur ces îlots de pauvreté en effectuant une double démarche: tout d'abord, une approche marxiste en mettant l'accent sur ce volant de main d'œuvre du capitalisme représenté par le sous-prolétariat et que K. Marx 198 avait décrit en terme de Lumpen-Prolétariat: une communauté d'hommes ne travaillant pas, non insérée dans une lutte des classes, une armée de réserve, en quelque sorte, dans laquelle le capitalisme puisait à son gré. La deuxième démarche sera d'ordre "culturaliste": grâce aux avancées de la sociologie urbaine, des études sous forme de monographies tenteront de rendre compte de la vie des plus pauvres et de l'existence d'une culture propre à cette population. La perspective d'A.T.D. sera d'élargir le domaine de la pauvreté hors de la seule sphère économique en dégageant les mécanismes de production et de reproduction de celle-ci. Pour J. Wresinski, les pauvres sont ceux qui "(…) n'ayant pu entrer dans les structures modernes, demeurent en dehors de tous les grands courants de la vie de la nation." 199

Notes
197.

J. Wresinski, Enrayer la reproduction de la grande pauvreté, Rapport au Ministre du Plan et de l'Aménagement du Territoire, Préparation du IX ième Plan, 1984-1988, La Documentation Française, 1983, p. 101.

198.

K. Marx, Les luttes de classes en France 1848-1850, (1895), Editions sociales, 1967, p. 58.

199.

J. Wresinski, "La science, parente pauvre de la charité", in J. Labbens, La condition sous- prolétarienne. L'héritage du passé, Bureau des Recherches Sociales, 1965, p. 9.