3. Les prémices de l'exclusion

C'est à cette époque que l'exclusion atteint une certaine visibilité à travers plusieurs ouvrages rédigés par J. Klanfer et parus aux éditions Sciences et Services (Editions d'A.T.D. Quart-Monde): "L'exclusion sociale" en 1965 et "Le Sous-développement humain" en 1967. J. Klanfer écrit qu'"être pauvre, c'est se situer en dehors du monde institutionnalisé(…), être exclu des facilités offertes à ceux qui occupent une place reconnue dans la société, être exclu du climat de confiance, d'optimisme qui, dans l'ensemble, prévaut au sein des sociétés occidentales (…)" 200 Ainsi, l'exclusion est analysée non pas uniquement comme une caractéristique de la pauvreté économique mais comme le décalage social que subit l'individu démuni. Néanmoins cette analyse n'est pas nouvelle, on la trouve, en effet, chez P. Sécretan qui, déjà en 1959, dans la revue Esprit, employait le terme d'exclusion: "Les pauvres sont de notre monde sans en être(…) C'est donc par l'exclusion que je tenterai de définir la pauvreté(…) Le plus tragique dans la pauvreté est peut-être le sentiment d'être exclu d'un monde qui se construit." 201 Cette idée sera reprise et développée dans la revue Economie et Humanisme qui consacra en 1967 un numéro spécial sur ce thème. M. Cornaton 202 notera, en effet, que la pauvreté économique s'accompagne d'une misère d'ordre culturel dans nos sociétés modernes. Les biens matériels étant devenus les vecteurs de l'existence et de la communication entre les hommes, le pauvre, ne consommant pas ou très peu, est dès lors isolé de ce vaste marché et par extension du monde qui l'entoure. C'est en terme de "laissés-pour-compte" que J.M. Albertini 203 , dans la même revue, décrira les populations du Quart-Monde et tentera une typologie comprenant les travailleurs pauvres (travailleurs immigrés, femmes, ouvriers à bas salaire), les inactifs (personnes âgées, handicapés) et, enfin, les "inadaptés". Cette catégorie des "laissés-pour-compte" qui sera très vite associée au thème de la croissance perdurera en tant qu'appellation générique regroupant des populations aux trajectoires fort diverses.

Notes
200.

J. Klanfer, Le Sous-développement humain, Editions Ouvrières, 1967, p. 135.

201.

P. Sécretan, "Sens et non-sens de la pauvreté", Esprit, n°273, 1959, pp. 715-726.

202.

M. Cornaton, "Pauvreté et misère", Economie et Humanisme, n°174, 1967, pp. 54-59.

203.

J.M. Albertini, "Pourquoi des "laissés pour compte"?", Economie et Humanisme, op. cit., pp. 5-13.