2. Processus de précarisation

Bien loin de ces querelles chiffrées, C. Offredi s'interroge sur une approche multidimensionnelle de la précarité, celle-ci touchant toutes les catégories de la population. "Il ne s'agit plus en matière de précarité de dénombrer ou compter les précaires comme on le faisait pour les pauvres mais bien de repérer les formes, voire les processus des ruptures." 218 Ainsi, de nombreux travaux donneront la parole aux "précaires". Les histoires de vie, les trajectoires individuelles ou familiales rassemblées dans les enquêtes de terrain tenteront de mieux cerner cette nouvelle réalité sociale.

L'emploi même de la notion de "précarité" entraînera, dès lors, non seulement un déplacement de l'objet scientifique mais aussi une évolution des méthodes utilisées afin de mieux appréhender cet objet. Selon, M.A. Barthe, "la pauvreté n'est pas une réalité homogène mais elle est multiforme et multidimensionnelle." 219 Trois groupes sont désignés: la pauvreté laborieuse recouvrant les travailleurs à bas salaires, la population du Quart-Monde déjà bien connue et enfin les nouveaux pauvres, touchés de plein fouet par la crise économique, qualifiés de "vulnérables" car faiblement qualifiés dans une période où le chômage s'accroît. Ainsi, d'une réflexion sur la pauvreté en terme de transmission ou d'héritage intergénérationnel, le débat va évoluer peu à peu vers la prise en compte d'une pauvreté mouvante qui sera pensée sous la forme de processus touchant des individus qui n'étaient auparavant pas marginalisés.

Cet accroissement des populations touchées par la pauvreté a entraîné un débat de fond sur les "trous" de la protection sociale. L'adoption, en 1988, de la loi sur le R.M.I. avait pour but de mettre en place un "filet" de protection minimum. Cette loi réaffirme le devoir social de la nation vis-à-vis des plus pauvres. Ce revenu s'adresse à "toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation de l'économie et de l'emploi se trouve dans l'incapacité de travailler." 220 C'est la construction du R.M.I. sur un double modèle, d'une part un modèle assuranciel érigé sur le socle du travail, d'autre part, un modèle assistanciel, qui est à l'origine de la formulation du débat sur l'insertion. Ce revenu est subordonné à la notion de contrat engageant l'Etat mais aussi l'individu qui doit montrer une véritable volonté d'insertion sociale. Le R.M.I. est, dès lors, situé dans une position floue entre le droit et le contrat. La mise en place du R.M.I. va fournir une plus grande connaissance des populations et de leur trajectoire notamment par la réalisation d'enquêtes auprès des allocataires et par les comptes-rendus des commissions locales d'insertion. Plusieurs recherches insisteront notamment sur la solitude des personnes touchant le R.M.I. et leur évincement de toute forme de vie sociale. Ce savoir plus étendu ainsi que la généralisation de la précarité va faire le lit, peu à peu, d'une nouvelle réflexion sur la pauvreté formulée, cette fois, en terme d'exclusion sociale.

Notes
218.

C. Offredi, "Pauvreté et précarité: repères", Revue française des affaires sociales, n°2, 1985, pp. 129-149.

219.

M.A Barthe, "Les formes de la pauvreté dans la société française", Revue française des affaires sociales, n°2, 1987, pp. 113-125.

220.

Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion. Titre 1er, article 1er, J.O. du 3 décembre 1988.