3. L'apparition de nouveaux acteurs

La formulation de la question sociale en terme d'insertion réintègre le pauvre dans un statut de citoyen que l'Etat se doit de prendre en charge quand l'obligation du travail ne peut être satisfaite. Cette lecture va entraîner l'apparition d'un nouveau champ de pratiques, celui de la solidarité.

Des acteurs dont le prestige repose sur l'image (chanteurs, comédiens, gag-men…) mais aussi des anonymes vont s'émouvoir de la situation sociale et tenter d'enrayer une précarité de plus en plus menaçante. Les restaurants du cœur créés par Coluche, les retours sur la scène médiatique de l'abbé Pierre mais surtout l'accroissement des associations venant en aide aux plus démunis et l'afflux d'un nouveau profil de bénévoles très éloignés de l'image traditionnelle des dames patronnesses vont opérer un basculement des positions envers la pauvreté. La société civile, par l'acte citoyen et solidaire, accusera les faiblesses de l'action étatique et tentera d'imposer de nouvelles représentations. Profitant de dons très généreux mais aussi d'aides des pouvoirs publics, ces nouvelles associations, fortes de leur ascendant sur l'opinion, seront reconnues par l'Etat comme des partenaires actifs et seront consultées dans la mise en place de plans de lutte contre la pauvreté.

La majorité des hommes politiques se rendra d'ailleurs dans les "restos du cœur" et encouragera cette initiative dont on aurait pu penser, de prime abord, qu'elle désavouait leur action. Bien sûr, le fait de soutenir une association déjà très populaire dans l'opinion ne peut qu'améliorer une image publique, toutefois ce rapprochement entre les différents acteurs va permettre la formulation d'un discours nouveau et commun sur la pauvreté. Ce discours sera axé sur la solidarité et sur le besoin de tous les partenaires afin de lutter ou de "faire front", le "tous ensemble contre" deviendra d'ailleurs le leitmotiv des différentes batailles (pauvreté, précarité, chômage, S.I.D.A…) La question du lien social est déjà en gestation et ce lien va être mis en scène afin que chacun puisse en mesurer son existence par l'effet conjoint du don médiatisé, des mesures des pouvoirs publics (R.M.I. par exemple) et de la communauté de pensée et d'actions. Les rassemblements physiques ou virtuels par l'intermédiaire de spectacles ou d'appels aux dons seront l'occasion d'expérimenter ce lien mais aussi de le vivre. Les interventions d'hommes politiques seront d'ailleurs là pour annihiler la frontière entre société civile et champ politique traduisant dès lors un espace de réflexion mais aussi de préoccupations commun aux différents acteurs sociaux.

La pénétration d'acteurs du champ médiatique dans la sphère du politique sera à l'origine d'une évolution en matière de loi: l'amendement Coluche, autorisant le dégrèvement de l'imposition sur le revenu des dons faits aux associations, traduira non seulement l'utilité et la légitimité de ces associations dans la lutte contre la pauvreté mais aussi une reconnaissance par l'Etat de ces associations comme partenaires bénéficiant de sommes qui lui étaient initialement versées. Identifiées auparavant à des mouvements plus ou moins "alternatifs", ces associations sont devenues très rapidement des lobbies reposant sur le champ médiatique et sur la séduction d'une opinion publique terrorisée à l'idée de faire partie, un jour, de ces "nouveaux pauvres".