2. Le "droit citoyen" bafoué

L'indétermination sémantique de la notion d'exclusion et la victimisation des exclus vont faire en sorte que puisse s'énoncer un discours consensuel au niveau des différentes familles politiques. L'exclusion, catégorie "bonne à penser" 224 , incarne le lieu de réconciliation par excellence: la bataille à engager contre ce fléau devient cause nationale et doit réunir tous les citoyens solidaires. L'exclusion va se détacher de la sphère des discours basés sur la pauvreté et les inégalités au profit de revendications concernant le thème de la solidarité déjà esquissé par les associations dans la deuxième moitié des années quatre-vingts. En 1991, l'Observatoire européen des politiques de lutte contre l'exclusion sociale 225 définissait celle-ci en relation avec la non réalisation des droits sociaux. Les expressions telles que "zones de non-droit" qualifiant les banlieues, chômeurs "en fin de droits" (bien que moins récente) placent l'exclusion au centre d'un débat sur une citoyenneté à reconquérir. Ce droit retrouvé à la citoyenneté pour le pauvre ou l'exclu renvoie la responsabilité du côté collectif. Ainsi, la réflexion s'est tournée peu à peu vers une réinsertion grâce à la participation citoyenne, thématique couplée à l'exclusion. Les conseils consultatifs des citoyens, le développement des maisons de quartier seront autant de forums conçus en vue d'une réintégration par l'acte de communication des individus dits exclus. S'ajouteront les nombreuses mesures de retour à l'emploi sous forme de stages ou de contrats spécifiques à la situation du demandeur. L'école sera, elle aussi, interrogée, accusée de produire un enseignement à deux vitesses.

Cette politique, inscrite dans une réflexion sur nos institutions et leur fonctionnement, va contribuer à produire une représentation de l'exclusion peu nuancée en même temps qu'une vision métaphorique de l'individu qualifié d'exclu situé dans un espace plus ou moins flou qui est celui de l'absence de participation citoyenne.

Néanmoins, c'est en alimentant une pluralité de discours sur les causes et les remèdes à l'exclusion que la notion opère son tour de force le plus spectaculaire qui consiste non seulement à poser la question des liens sociaux sur la place publique mais aussi et surtout à renforcer la cohésion d'un centre (les "in") débattant sur sa périphérie (les "out"). Symbolisant l'absence, par l'agrégat de l'ailleurs et du manque, l'image de l'exclusion et des exclus ne travaille le corps social que par défaut et cette image sera exhibée par une société que plus rien ne fédère si ce n'est justement, et dans un profond paradoxe, la mise en scène de cette absence.

Notes
224.

C. Frétigné, Sociologie de l'exclusion, L'Harmattan éd., 1999.

225.

Observatoire Européen des Politiques Nationales de Lutte contre l'Exclusion Sociale, Premier rapport annuel au Ministère des Affaires Sociales, Commission des Communautés Européennes, 1991.