C. Une population spécifique: les jeunes

Le rapport rendu en 1994 par J. Guillou 257 a pris pour objet de recherche spécifique les jeunes S.D.F. En étudiant leur trajectoire, l'auteur met en évidence les ruptures successives scandant leur histoire et accorde à la thématique de l'errance une place prépondérante. J. Guillou insiste sur l'existence de groupes de statut contribuant à différencier ces jeunes sans domicile des S.D.F. plus âgés et souligne la lutte entreprise par ces jeunes en vue de se différencier du modèle du clochard. Les alliances existant entre membres d'un même squat ou la fréquentation du même foyer permettent de maintenir un certain lien social et l'errance qui est la leur s'affirme comme une émancipation et une tentative de résoudre dans l'espace public des conflits apparus au sein de l'espace privé. La même année, un rapport remis par F. Chobeaux et intitulé "Jeunes en errance et hébergement festivalier" 258 , tente par une recherche-action de comprendre le parcours de ceux que l'auteur nomme "zonards". Ces zonards sont des jeunes âgés de seize à trente ans se déplaçant dans les villes festivalières pendant l'été. En rupture familiale, le plus souvent polytoxicomanes, généralement de sexe masculin, ils se différencient des S.D.F. et des clochards, catégories auxquelles ils ne veulent pas être associés, par leur continuel déplacement en fonction des festivals du moment. Pratiquant la mendicité ou des petits métiers (tressage de cheveux, bars ambulants, cracheurs de feu…), leur principale activité réside dans "l'errance pour l'errance". La saison hivernale les fait revenir parfois et pour un court instant au domicile familial, plus généralement ces derniers sont hébergés chez des amis de rencontre, dans des foyers ou vivent dans des squats.

L'auteur de ce rapport réfute l'idée d'une communauté et l'émergence d'une contre-culture. Leur vie "est plutôt morne et sans joie" et reflète "un enfermement dans une souffrance individuelle et dans une absence totale de sens." 259

Pour finir, nous noterons que si F. Chobeaux et le C.R.E.A.I. utilisent dans leur rapport respectif le terme de "zonard", celui-ci désigne, toutefois, une réalité bien différente: une errance itinérante d'individus jeunes pour le premier, une errance exclusivement urbaine et sans limite d'âge pour le second. Dans le vocable forgé par le C.R.E.A.I., les "zonards" de F. Chobeaux se transformeraient en "routards" organisant et planifiant leur destination.

Notes
257.

J. Guillou, Au bout d'être énervé, Rapport pour le Plan Urbain, 1994, repris in J. Guillou, Les jeunes sans domicile fixe et la rue, L'Harmattan éd., 1998.

258.

F. Chobeaux, Jeunes en errance et hébergements festivaliers, Rapport au Ministère de la jeunesse et des Sports, 1994, repris in F. Chobeaux, Les nomades du vide, Actes Sud éd.,1996.

259.

Idemp. 55.