D. Processus de désaffiliation

La typologie construite par les services du S.A.M.U. social mentionne trois types de S.D.F. 260 D'une part, les individus fraîchement à la rue et souffrant de leur situation, d'autre part, les personnes en phase d'adaptation et enfin, les clochards refusant toute forme d'aide. Cette typologie nous semble très proche de celle effectuée par A. Vexliard, pionnier des études de psychologie sociale sur les personnes vivant à la rue, et qui, déjà en 1957, distinguait quatre phases 261 . La phase "agressive" de la personne nouvellement démunie et luttant contre cette déchéance, la phase "régressive", ou de repli introduite par la durée de la situation, la phase de "fixation" dans laquelle l'individu commence à faire le deuil de sa situation antérieure et enfin la phase de "résignation" correspondant à l'intégration et à la valorisation du monde nouveau.

D'autres études vont se pencher sur les processus de désaffiliation en considérant les personnes sans domicile comme des acteurs sociaux luttant pour le maintien d'une représentation de soi positive. M. Bresson 262 va ainsi créer une typologie déclinant trois modèles: la galère, la zone et la cloche. La galère illustre la situation de personnes ayant perdu fraîchement leur domicile, luttant avec énergie pour sauver la face. La zone correspond à un processus d'adaptation: les zonards connaissent bien le monde de la rue et les adresses les plus intéressantes afin de dormir, se nourrir et se vêtir. L'auteur, en mentionnant l'existence d'une sous-culture avec ses codes, ses rites et ses expressions, réfute la thèse selon laquelle ces individus seraient "désinsérés". Le troisième modèle correspond à celui de la cloche et se caractérise là aussi par l'existence d'une sous-culture en même temps qu'un faible recours aux institutions. Le modèle présenté par l'auteur est assez proche du découpage effectué par le S.A.M.U. social et s'inspire des travaux d'A. Vexliard. De même, on retrouve une définition du zonard identique à celle du C.R.E.A.I. qui circonscrit l'errance de ce dernier à l'espace de la ville.

Prolongeant ce courant de recherche, P. Pichon 263 s'intéresse aux formes du "maintien de soi" en étudiant les modes d'utilisation de l'espace public et plus particulièrement les formes de la mendicité ainsi que les rapports établis avec les services d'assistance. L'idée prédominante est celle de réseaux de survie qui vont être créés et utilisés par l'individu sans logement afin de maintenir le sujet dans une insertion spécifique. L'assimilation de normes, de valeurs mais aussi l'apprentissage des techniques de mendicité permettent à l'individu d'intégrer un groupe et structurent le positionnement de chacun dans cette forme particulière de "carrière" 264 . Au-delà de la typologie des formes de mendicité forgée par l'auteur, la recherche porte sur la densité et la complexité des liens d'appartenance. Ainsi, tout comme F. Bresson, P. Pichon ne conçoit pas les S.D.F. comme des individus désinsérés. C'est une position inverse qu'occupe S. Roy 265 . L'auteur réserve la notion d'exclusion sociale à "l'étape ultime du processus de mise en marge sociale" que connaissent les S.D.F. ou les "itinérants-errants", proches de ceux que J.F. Laé nomme les "grands célibataires". Les "itinérants-errants" renvoient à un espace du social associé à l'extrême pauvreté recouvrant des problèmes de logement, un isolement relationnel, des recours à l'alcool et à la drogue accompagnés le plus souvent de maladies mentales. Représentant l'anti-modèle par excellence, "l'itinérant-errant" entretient un rapport négatif avec les normes sociales dominantes et symbolise la figure extrême de la désinsertion sociale.

Notes
260.

Typologie citée par J. Damon, op. cit., p. 87.

261.

A. Vexliard, Le clochard, (1957), Desclée de Brouwer éd., 1998.

262.

M. Bresson, Les S.D.F. et le nouveau contrat social, L'Harmattan éd., 1997.

263.

P. Pichon, "La manche, une activité routinière", Les annales de la recherche urbaine, n°57-58, 1992, pp. 147-157.

264.

Expression utilisée par l'auteur.

265.

S. Roy, "L'itinérance: forme exemplaire d'exclusion sociale?", Lien social et politiques / RIAC, n°34, 1995, pp. 73-80.