1. Définition et usage du terme

Exclure vient du latin "excludere": "fermer dehors", "ne pas laisser entrer" ou "ne pas admettre". On trouve le verbe sous la forme de "excloure" ou "esclore": "mettre dehors", "chasser" (Dictionnaire de l'ancienne langue française du IX ième siècle au XV ième siècle, (1884), 1969). Au XVIième siècle, on relève les expressions "exclusoire": "qui exclut" et "exclure de" (Dictionnaire de la langue française du XVI ème siècle). On retrouve la préposition "de" dans les exemples fournis par le Dictionnaire universel d'A. Furetière, 1690: "Chasser d'une maison", "Les mauvais anges ont été exclus du paradis". On note, à cette époque, une extension de l'emploi et le terme prend le sens de "Tenir quelqu'un à l'écart de ce à quoi il pourrait avoir droit" spécialement dans le discours juridique (Dictionnaire historique de la langue française, Robert, 1992). Mais le verbe et le participe passé sont toujours suivis de la préposition "de". Comme le note M. Tournier, les "rejetés le sont toujours de quelque part". 269 Dès le XIIIième siècle, l'exclusion se voit dotée d'un double sens: "mettre en dehors de" ou "jugé incompatible avec". A l'époque classique, l'exclu est le rejeté et l'exclusion devient un acte, objet d'un jugement spécifique. L'exemple le plus frappant est sans doute le Grand Renfermement tel que l'a décrit M. Foucault 270 : les exclus sont assimilés aux reclus, à ceux qui sont enfermés aux marges des villes. L'exclusion est donc ici une sanction sociale, sous la forme d'une mise à l'écart ou d'un rejet, frappant l'individu jugé comme déviant.

Il ne semble pas que l'exclusion ait goûté avant la deuxième moitié du vingtième siècle le succès qu'elle connaît actuellement. D'autres termes, plus précis, correspondant à des catégories et à des typologies spécifiques circulaient dans les discours (hérétiques, fous, vagabonds, lépreux…) et l'exclusion, assimilée à une peine, n'était que la résultante visible de la sanction sociale. Insensiblement, l'exclu deviendra le rejeté de l'ensemble de la société et ne sera plus la victime d'exclusives proférées. L'abandon de la préposition "de" brouillera encore plus les pistes.

Jusqu'en 1985, les termes "exclusion" et "exclu" ne sont pas employés de façon absolue et on trouve dans la plupart des dictionnaires les exemples suivants: "Les exclus de l'armée" (Quillet, 1956), "Il a été exclu de l'assemblée dont il faisait partie" (Littré, 1963), "Les perturbateurs ont été exclus de la salle" (Larousse, (1966), 1977), "Il est vexé d'être exclu de cette fête" (Le Robert, 1970), "Les exclus du parti" (Larousse (1983), 1986).

Concernant les définitions des termes "exclusion" et "exclure", on note: "Action d'écarter, de ne point admettre" (Dictionnaire de l'Académie Française, 1932), "Chasser d'un lieu ou d'une place" (Dictionnaire de la langue française classique, 1960), "Mettre quelqu'un dehors" (Dictionnaire général de la langue française, A. Hatzfeld et A. Darmesteter, 1964), "Oter le droit de, mettre hors de, interdire à" (Littré, 1974), "Mettre une chose à l'écart d'une autre" (Logos, Bordas, 1977), "Rejeter d'un groupe, ne pas admettre" (Trésor de la langue française, 1980). On notera la pérennité du double sens de l'exclusion: ne pas admettre avec l'idée de laisser autrui à l'extérieur ou bien chasser et donc renvoyer à l'extérieur. Dans les deux cas de figure, le terme définit un rapport de non-appartenance, que celle-ci soit première ou fasse suite à une mesure de renvoi.

C'est en 1985 que l'on trouve les premières formes d'un emploi sans complément: à la rubrique "Exclure": "personne: - Les exclus" (Le Robert, 1985). Dans les éditions de 1993 et 1994, on lit en exemple: "Les exclus de la croissance économique" et "La masse croissante des exclus sociaux". A la rubrique "Exclusion", on peut lire: "Exclusion (sociale): marginalisation de certaines catégories sociales. Rejet. Exemple: souffrent d'exclusion les femmes, les drogués, les marginaux, les casseurs, les homosexuels", (Le Robert, 1993).

Dans l'édition du Micro Robert de 1998, les définitions s'affinent et les emplois se font plus précis, on relève "Les exclus (de la société)". A la rubrique "Exclusion", deux sens sont exprimés: "Action d'exclure (quelqu'un) et exclusion (sociale): situation de personnes mises à l'écart, qui ne bénéficient pas des avantages minimaux attachés à un type de société."

On retrouve la même évolution dans Le petit Larousse de 1996: un exclu étant défini comme "Quelqu'un qui n'est plus considéré comme membre à part entière de la société", l'exclusion étant "La situation de personnes ou de groupes se trouvant exclus".

Les premières remarques que nous formulerons concernent l'entrée récente dans les dictionnaires du sens de l'exclusion tel qu'il est entendu communément et son emploi, sans complément, dans les exemples ainsi que l'hétérogénéité des catégories qu'il englobe. Le sens des mots "exclusion" et "exclu" est donc officialisé et fixé quant à l'usage et l'emploi. A cet égard, quand on compare l'édition de 1998 du Dictionnaire historique de la langue française (le Robert) à l'édition de 1992, on note l'apparition du sens actuel de l'exclusion : "Dans les années 1990, le mot s'est répandu dans le vocabulaire social". Ainsi, non seulement l'emploi et l'usage du mot sont fixés officiellement mais la notion même d'exclusion est historisée en tant que manière particulière de saisir et d'énoncer un rapport social lié à un contexte donné.

Concernant le syntagme S.D.F., celui-ci apparaît assez tardivement dans les rubriques des dictionnaires. En revanche, nous trouvons, assez communément, le terme de sans-abri. Larousse le consigne dès 1966 dans son Dictionnaire du français contemporain et P. Gilbert le relève dans son Dictionnaire des mots nouveaux paru en 1971. L'auteur différencie, dans les exemples donnés pour cette rubrique, les sans-abri, définis comme des sinistrés du logement (et nous retrouvons, ici, la définition adoptée dans la période d'après-guerre), des sans domicile fixe associés aux nomades. Ainsi, deux typologies apparaissent: les sans-abri victimes d'accidents divers et les nomades ou sans domicile fixe décrits comme ayant un mode de vie particulier.

Cette typologie se retrouve dans le Dictionnaire Hachette de 1998: le sans-abri est défini comme "une personne qui n'a plus de logement" tandis que le S.D.F., mot bénéficiant d'une entrée dans ce dictionnaire sous la forme des initiales, est associé au vagabond et au clochard. L'édition du Dictionnaire Robert de 1972 ne mentionne pas l'abréviation S.D.F. contrairement à celle de 1993 qui définit ce dernier comme "une personne qui n'a pas de logement régulier", le sans-abri étant "celui qui ne possède plus de logement". Ainsi, la différence entre sans-abri et S.D.F. se fonde, pour l'un, sur la perte du logement, ce qui induit qu'il y a eu auparavant un logement et donc une insertion sociale réussie, et, pour l'autre, sur une absence de logement assimilée à un mode de vie marginal ou en dehors des normes sociales traditionnelles, plaçant dès lors le S.D.F. dans le champ de la déviance.

Notes
269.

M. Tournier, "Des exclus sans exclusivité", Mots, n°46, 1996, pp. 123-128.

270.

M. Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, op. cit.