SECTION III. Conclusion

Nous avons tenté, tout au long de cette seconde partie, de déconstruire l'exclusion afin d'en repérer les soubassements et les modalités de son institution comme problème social. Les rapports officiels et scientifiques ont transformé la notion en catégorie administrative autorisant la gestion des populations. Le lexique, lui même, a fixé l'usage du terme et a historisé l'exclusion en tant que manière particulière de lire le social.

La structuration interne de l'exclusion s'est construite sur un pontage entre deux sous-catégories autrefois distinctes, la pauvreté et le chômage. Le lexique mais aussi le discours médiatique, écho de la doxa, font de la pauvreté le noyau dur autour duquel s'élaborent les représentations sociales véhiculées sur l'exclu et plus spécifiquement sur le S.D.F.

Cette inscription enracine l'exclusion dans un terreau familier nous fournissant les cadres de nos catégorisations du monde. Cet héritage se retrouve dans la notion d'exclusion puisque cette dernière se décompose en "grande exclusion", liée directement au thème de la pauvreté, et en "précarité", sous-catégorie créée à partir du chômage, alimentant une distinction des populations et donc une formulation en termes de degrés d'exclusion. C'est dans le sillage de l'apparition de certaines désignations, telle la "nouvelle pauvreté" par exemple, que l'exclusion a pu être formulée. Dès lors, l'interrogation mais aussi les inquiétudes que la notion traduit quant à la déliaison qui menace notre société sont d'abord motivées par le fait que cette déliaison touche des populations jusque là intégrées et adhérant aux valeurs qui fondent l'ordre social.

Il n'en va de même pour le S.D.F. situé aux confins de la grande exclusion. Véhiculant des représentations se rattachant au noyau dur de la grande pauvreté, ce dernier en supporte l'héritage et dérive vers le territoire d'une marginalité choisie et d'une inadaptation sociale chronique.

La mise à jour des constellations et des rapports associatifs établissant la topographie du champ sémantique de l'exclusion révèle, à ce propos, des connotations nettement péjoratives. Associé au nomade dans son absence de fixité, le S.D.F. est clairement distingué du sans-abri mis en scène comme une victime ayant tout perdu. Cette thématique de l'errance se retrouve, de manière plus feutrée il est vrai, dans les typologies savantes du S.D.F. organisées autour des modalités de l'occupation de l'espace. Ainsi la question S.D.F. met en perspective un débat moins centré sur la crise économique et donc sur la valeur du travail que relatif à la transgression de la norme de domiciliation et donc de la fixité territoriale.

Cette dimension se retrouve dans le discours médiatique qui relie les arrêtés anti-mendicité à une déviance juvénile empruntant aux thèmes du "voyage", de la "route", bref à une certaine évasion des modes de vie traditionnels.

Toujours dans ce type de discours, nous avons pu noter que l'exclusion, par le jeu des renvois, était devenue une référence obligée pour le lecteur. Cette notion est donc devenue une rubrique moteur qui complète d'autres énoncés. Ainsi, tout comme dans le discours savant, la notion a pris la forme d'un "nouveau paradigme" gouvernant nos productions discursives.

Catégorie administrative du discours scientifique, rubrique répertoriée dans le vocabulaire médiatique, notion instituée du lexique, l'exclusion, et la compréhension du monde qu'elle impose, sont ainsi légitimées par une pluralité d'énonciateurs s'alimentant les uns aux autres.

Le langage usuel répertorie l'exclusion dans les thématiques de l'ordre et de la mesure et le discours produit s'énonce dans le champ des normes. La figure du S.D.F., située au point extrême de l'exclusion, nous laisse entrevoir, derrière l'image première du malheureux, un tout autre visage, celui d'un homme en errance, solitaire et déviant incarnant un contre-modèle social.

Il nous faut maintenant, afin d'aborder le niveau d'une matrice associant errance et déviance, prolonger cette recherche en rétrécissant la focale de notre investigation et en élargissant le cadre temporel de notre étude. Pour cela, nous effectuerons une mise en perspective historique en repérant, dans les discours et les pratiques, les traces portées par notre mémoire sociale et actualisées dans nos représentations en tentant d'articuler ces dernières aux matrices culturelles qui les sous-tendent.