3. Exclusion et insertion

Sous la troisième république, les assurances sociales s'imposent peu à peu: système des retraites, assistance médicale gratuite (1893), assistance à l'enfance (1904), système des pensions, placement en hospice des vieillards et des handicapés (1905). L'assistance publique a contribué à un meilleur repérage des situations de misère et à une étendue de leur prise en charge. Ce contexte de quadrillage de l'action sociale et l'abandon d'une politique uniquement répressive mais aussi une industrialisation en plein essor développant le système du salariat ont entraîné le déclin d'une perception du vagabondage vécue comme problématique sociale majeure. La sécurité sociale instaurée en 1945, le préambule de la Constitution de 1946 stipulant que la nation doit garantir à tous la protection de la santé et de la sécurité matérielle ont contribué à placer au centre des préoccupations la question du lien social. Le domicile de secours, lui-même, subit des modifications et s'organise dorénavant non plus sur l'appartenance communale mais sur celle plus large mais aussi plus abstraite du département. Dans ce nouveau paysage, des évolutions sémantiques voient le jour. Les termes de mendiant et vagabond disparaissent peu à peu et le clochard fait, dès 1908, son apparition dans la cité. Les bohémiens ou les tziganes laissent la place aux gens du voyage. Les sans-abri seront les sinistrés du logement suite aux effets de la deuxième guerre mondiale et les sans logis ou mal logés décriront des populations marginales. Néanmoins, les deux constantes que sont l'appartenance territoriale et l'utilité sociale sont toujours d'actualité. Ainsi, la loi de 1912 définit les nomades comme "les individus, même de nationalité française, qui circulent en France sans y avoir de domicile ni de résidence fixes à moins qu'ils n'exercent une profession de forain." 348 Jusqu'en 1969, le carnet anthropométrique était obligatoire, sauf pour le forain qui n'était pas considéré comme un nomade puisque exerçant une activité professionnelle itinérante. Si la loi abolit ce carnet dans lequel étaient consignées les caractéristiques physiques de l'individu, cette dernière le remplace par le "livret spécial de circulation" 349 qui permet de contrôler les déplacements de cette population.

La ville s'enrichit d'une nouvelle figure, celle du clochard, dans laquelle s'entremêlent les images du mendiant et du vagabond. Sans domicile mais le plus souvent sédentarisé dans un quartier, le clochard épouse les traits de l'oisif ou du travailleur irrégulier, mendiant parfois, buvant beaucoup, il passe aussi, dans la mentalité collective, pour un "philosophe", un "contemplatif", ayant choisi ce mode de vie marginal aux accents anarchistes, bref c'est un être décrit comme asocial mais inoffensif. Des asiles de nuit sont créés afin d'accueillir les clochards qui en échange effectuent quelques travaux: blanchisserie, cuisine, nettoyage… C'est encore le modèle de l'utilité sociale qui est ici activé, gage de réciprocité de la part de l'assisté mais aussi garant d'une certaine "réadaptation": "Le clochard c'est avant tout un homme qui a sombré (…) C'est un inadapté social (…) Le symptôme principal de l'inadaptation sociale est l'inaptitude au travail." 350 On rejoint ici le courant développé dans les années soixante et dix par R. Lenoir et deux catégories distinctes vont peu à peu s'instituer. La première recouvre la population misérable traditionnelle et bien connue des services d'assistance, la deuxième comprend les personnes touchées par la précarité et la pauvreté suite aux effets d'une crise économique qui se prolonge.

Notes
348.

Loi du 16 juillet 1912.

349.

Loi du 3 janvier 1969.

350.

Frère Thomas de la Trinité, Clochard mon ami, 1978, in M. Bresson, op. cit.