CHAPITRE II. Du vagabond au S.D.F.: une trajectoire déviante

Section I. Théories de la déviance

1. Déviance et marginalité

La déviance peut être définie comme "l'ensemble des conduites et des états que les membres d'un groupe jugent non conformes à leurs attentes, à leurs normes ou à leurs valeurs et qui, de ce fait, risquent de susciter de leur part réprobation et sanctions." 379 P. Cusson utilise le terme pour désigner un ensemble plus ou moins disparate de transgressions, de conduites désapprouvées et d'individus marginaux. Une précision dans le choix des termes s'impose. Certains auteurs, tel Y. Barel 380 , différencient déviance et marginalité en accordant à cette dernière une dimension plus vaste, la reliant "à un phénomène essentiellement post soixante-huitard" 381 et comprenant "les pauvres, les drogués, le suicidaire, le débile léger ou profond, le néo-rural ou néo-artisan, l'homosexuel en colère, le loubard…" 382 Toutefois, cette distinction disparaît au profit de l'appellation "déviants sociaux" et nous nous trouvons face à une synonymie des termes.

Il en va de même dans la perspective développée par H.S. Becker 383 qui emploie l'une ou l'autre notion, les définissant comme la non-conformation aux règles de la normalité.

Nous concernant, nous utiliserons le concept de déviance en référence à la perspective interactionniste que nous adopterons et en différenciant celle-ci de la marginalité. La déviance s'inscrit dans une dimension dynamique contrairement à la marginalité qui semble plus statique et qui définit une frange de population par rapport à un centre. La notion décrit des comportements éloignés des normes traditionnelles, bien sûr, mais qui ne transgressent pas automatiquement ces dernières, ainsi elle n'appelle pas nécessairement, contrairement à la déviance, une réponse sociale.

Nous avons vu que l'errance violait la norme de domiciliation et les valeurs qui lui sont associées comme le travail et la famille. Entendue comme un comportement déviant, elle a supporté des sanctions différentes au cours de l'histoire mais qui toutes avaient le même but, son éradication, que ce soit par la punition, l'éloignement, la réadaptation ou la mise à mort. Nous définirons la déviance comme un ensemble de conduites qui transgressent les normes dans un contexte culturel donné et qui appellent en retour des réponses sociales émises sous forme de sanctions, de rejet ou bien encore de jugements formulés sous une forme négative.

Notes
379.

P. Cusson,"Déviance", in R. Boudon, Traité de sociologie, P.U.F. éd., 1992, pp. 389-422.

380.

Y. Barel, La marginalité sociale, P.U.F. éd., 1982.

381.

Idem p. 38.

382.

Ibid. p. 44.

383.

H.S. Becker, op. cit.