6. Conclusion

Nous avons vu que le vagabondage était inscrit dans une typologie déviante et plus particulièrement dans la catégorie de l'évasion. Cette représentation de l'errant en tant qu'inadapté social, obéissant à un système de valeur différent de celui adopté par la majorité se prolonge jusqu'à nos jours notamment dans la figure de "l'incasable". A cet égard, certains courants de recherche ont insisté sur la présence d'une "sous-culture" S.D.F. La théorie du "double échec" place l'errant dans un hors-lieu très particulier, rejeté à la fois de la culture dominante et des sous-cultures criminelles. On ne peut ici que souligner la portée métaphorique d'un tel discours et en appeler aux théories interactionnistes qui réinscrivent le déviant au cœur des interactions sociales. La désignation de l'individu en tant que déviant s'effectue au terme d'un processus de stigmatisation. Celui-ci peut prendre des formes variables, marquage physique coercitif, attributs spécifiques, situation administrative particulière mais entraîne toujours une plus grande visibilité du déviant et la mise en oeuvre de processus de normalisation. Ces pratiques de contrôle dépassent la question de la peine juridique, elles se déploient dans un champ plus étendu et c'est le comportement tout entier qui est, ici, objet de normalisation. Bien plus, elles ne se préoccupent pas uniquement du corps du déviant mais tentent, à travers lui, de prononcer et de maintenir l'ordre social.

Mais le stigmate ne se limite pas à ces pratiques de contrôle, il réduit l'homme qui en est porteur et, par là, creuse l'écart entre les catégories sociales, entre le "nous" et le "eux". La confusion des genres est ainsi évitée et le stigmatisé, isolé mais encore plus visible, peut représenter pleinement un modèle en négatif.

Nous allons, dans les trois sections suivantes, nous pencher sur les procédés normatifs sanctionnant l'errance. Dans un premier temps, nous replacerons le vagabond et le S.D.F. dans le cadre du discours juridique puis nous déplacerons notre regard vers la pratique médicale. En dernier lieu, nous étudierons les modalités visant à amplifier l'altérité de l'errant et plus particulièrement les procédés de déshumanisation dont celui-ci fut la victime.