A. La mendicité: un délit redéfini

Dans ce nouveau cadre juridique, le mendiant, extrait de la sphère répressive, semble être devenu un homme plus à plaindre qu'à blâmer. Mais les représentations ne sont pas aussi tranchées.

Si l'on en croit F. Desportes 417 , l'abrogation de cette incrimination s'est heurtée à une vive résistance au sein de l'Assemblée Nationale lors des discussions consacrées aux atteintes à l'Etat et la paix publique. Une solution de compromis, proposée par la Commission des lois de l'Assemblée, a consisté à réprimer la provocation directe d'un mineur à la mendicité: "le fait de provoquer un mineur à la mendicité est puni de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende. Lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans, l'infraction définie par le présent article est punie de trois ans d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende." (art. 227.20) Cet article appartient au registre "de la mise en péril des mineurs" et décline, sur le même mode, l'incitation à la prise de stupéfiants (art. 227.18), à celle de boissons alcooliques (art. 227.19) et l'incitation au délit ou au crime (art. 227.21).

En pratique, cette incrimination est dirigée contre un adulte. La définition de la mendicité est la même que celle dégagée en 1874 par la jurisprudence de l'article 274 de l'ancien Code pénal: "s'adresser à la charité ou à la bienfaisance dans le but d'obtenir un secours tout à fait gratuit et pour lequel on n'offre en échange aucune contre-valeur appréciable."

La définition de la provocation est, dans le discours juridique, traditionnellement subordonnée à trois conditions. Elle doit tendre vers la commission d'une infraction, elle doit avoir été suivie d'un commencement d'exécution, enfin elle doit être accompagnée de menaces, promesses, don, abus d'autorité ou de pouvoir. L'article 227.20, transformant la provocation en infraction principale, en remodèle la définition. Elle est ainsi répréhensible alors qu'elle tend à la commission d'un acte qui ne constitue pas une infraction puisque la mendicité a été abrogée. En deuxième lieu, le législateur précise qu'il importe peu que la provocation ait été suivie d'effets, c'est à dire d'un commencement d'exécution. On retrouve ici les accents des mesures ante delictum telles qu'elles apparaissaient à l'époque de la rédaction du premier Code pénal. C'est, en quelque sorte, l'intention d'incitation qui constitue l'infraction et qui est soumise à condamnation. L'appartenance même du délit de provocation au registre de "la mise en péril" prolonge, à cet égard, l'association entre mendicité et état dangereux de l'individu qui l'exerce ou qui incite à la

pratiquer. On observe ainsi que si le délit est abrogé, les matrices enchâssant les discours sur le mendiant perdurent. En insistant sur le péril, elles pérennisent le concept d'état dangereux et aboutissent à instaurer des protections spécifiques à l'égard des mineurs et à maintenir un cadre juridique sur la question de la mendicité.

Le délit de vagabondage, en revanche, semble avoir disparu définitivement. On ne retrouve pas, en effet, d'infraction à la provocation des mineurs à ce type de comportement. Il faut néanmoins préciser que le vagabondage des mineurs s'inscrit, en règle générale, dans le registre de la fugue, nettement différencié de l'errance des adultes ou des S.D.F. actuels. Mais, comme pour la mendicité, les discours se brouillent et si l'Etat, par l'intermédiaire du nouveau Code pénal, n'incrimine plus cette pratique, la question de l'errance va toutefois se poser, corollairement à celle de la mendicité, à l'échelle plus réduite de la ville et de l'occupation de l'espace public. Le législateur, en dépénalisant la mendicité et le vagabondage, en a confié, en quelque sorte, le contrôle au pouvoir administratif lequel se montre pour le moins clément en la matière car si le Code pénal annonçait que le vagabondage et la mendicité étaient des délits et indiquait l'échelle des peines, les mesures administratives, tels ce qu'il est convenu d'appeler les arrêtés anti-mendicité, adoptent un discours impératif en réglementant et en interdisant ces pratiques.

Notes
417.

Jurisclasseur pénal, 1999 (5. 1996).