4. Conclusion

La nososographie psychiatrique formulée par les aliénistes a décrit l'errance dans le cadre de la théorie de la dégénérescence. En entremêlant pathologie mentale héréditaire et considérations d'ordre moral, elle a ainsi contribué à stigmatiser une classe sociale dite dangereuse. Cette position bio-psychologique a entraîné certains médecins à étudier la fugue juvénile et à la comprendre comme l'élément précurseur du vagabondage chez l'adulte. Les travaux d'A. Vexliard, en formulant une compréhension de la déliaison sociale en terme de processus, ont mis l'accent sur le facteur environnemental et ont relégué au second plan la causalité individuelle et les troubles psychiatriques. Cette voix résonne encore aujourd'hui dans la problématique à caractère éthique de la psychiatrisation de la misère. Les thèmes de la souffrance psychique et des pathologies réactionnelles réinscrivent l'errance et, généralement tous les processus fragilisant le lien social, dans une perspective interactionniste. Mais cette position n'est pas unique et certaines constantes sont vivaces. La vision causaliste est encore d'actualité et les explications à caractère bio-psychologique toujours sollicitées. Celle-ci peuvent épouser les traits de la "prédisposition congénitale" 497 , ou, plus proche de nous, du "réflexe quasi spontané de vagabondage" 498 . Le deuxième élément persistant réside dans l'établissement de classifications construites selon un système d'opposition entremêlant les traits pathologiques, sociaux et moraux. Ces classifications déclinent les causes de l'errance mais aussi le degré de son intensité et les possibilités de réinsertion individuelle. Le "clochard ou vagabond né" se différencie de "l'accident de parcours" ou du "psychotique". La dimension de l'appartenance territoriale est aussi une composante de ce système classificatoire. Le clochard, s'il est situé aux confins de la pathologie mentale, s'oppose au S.D.F. par son mode de vie appréhendé comme régulier, fixé dans un lieu, enchâssé dans des liens fluctuants mais réels. Le S.D.F., au contraire, est pensé comme incapable de tisser ces liens et d'en accepter le poids. Cette opposition dessine des frontières, cloisonne les catégories d'où émergent, au final, deux types idéaux différenciés, celui du marginal et du déviant, et, par extension, les figures de l'inoffensif et du dangereux.

Il serait toutefois abusif de calquer la vision contemporaine de l'errance sur la matrice hygiéniste. Le thème novateur de la souffrance psychique ouvre des horizons de recherche nouveaux et dynamise les pratiques. La création des services de veille sociale dans les villes insistant sur la volonté du sujet et son libre arbitre en matière de prise en charge a succédé aux procédés d'enfermement coercitifs. De plus, de nouvelles initiatives, impliquant chercheurs et praticiens du social, s'interrogent sur les processus d'accompagnement et tentent des procédés de réinsertion au plus près du sujet en errance. Dans ce cadre, le S.D.F. n'est plus automatiquement pensé dans ses manques mais comme une personne ayant des ressources internes, un avant et un après la rue. Ce glissement du regard a des effets directs et concrets sur la pratique sociale et les politiques de prises en charge des individus à la rue. 499

Notes
497.

F. François, op. cit.

498.

I. Astier, op. cit.

499.

B. Duez, "L'errance nécessaire. Compte rendu d'une recherche action auprès de population sans domicile fixe", in Les cahiers du C.R.P.P.C., n°9, 2001, pp. 3-12.