4. Conclusion

Nous ferons le point sur nos avancées en reprenant le fil rouge de nos hypothèses. Nous avons observé, dans la première partie de ce travail, que la notion d'exclusion tissait des catégories et que le S.D.F. incarnait l'extrême de la déliaison sociale, les connotations lui étant associées rappelant sans cesse son absence d'inscription territoriale mise en scène dans les discours comme une conduite hors normes. Nous avons ouvert ce deuxième chapitre sur les théories de la déviance en tentant de mettre à jour l'invariance d'une pensée reliant errance et déviance, lisible dans les discours formulés et les pratiques exercées sur le vagabond et le S.D.F.

Le cadre juridique s'est structuré autour du concept d'état dangereux et des mesures ante delictum visant à neutraliser le potentiel insécure du mendiant et du vagabond. Cette position est réactivée dans les arrêtés anti-mendicité construits autour du sentiment d'insécurité alimenté par la peur qu'inspirent certains mendiants. Ces derniers, différenciés d'une population pauvre, connue dans la ville et insérée dans les réseaux d'assistance, sont saisis dans leur déviance comportementale et frappés d'anathème. La formulation des catégories s'organise sur la thématique de l'inscription territoriale et l'interdit frappe d'abord l'étranger à la commune autour duquel se condense une constellation de représentations négatives.

Prolongeant l'analyse des procédés de contrôle social, nous avons étudié le regard que le pouvoir médical portait sur le vagabond et le S.D.F. La nosographie psychiatrique a traduit l'errance en une essence, une nature inscrite dans le corps et dans l'esprit désordonnés de l'individu. Qu'il soit dégénéré, hystérique, psychologiquement faible, fragile, immature ou dépressif, l'errant est prédisposé à la déliaison sociale. La thématique de l'inscription territoriale structure les classifications pathologiques et cloisonne les populations. Le clochard, fixé dans un lieu, n'est pas le "S.D.F. réinsérable", lui-même éloigné du "S.D.F. non-réinsérable" voué à ce "réflexe spontané de vagabondage". Ce dernier passe les "mailles du filet" et c'est bien là que réside la problématique qu'il porte en lui. Cet homme, absent des structures d'assistance et de réinsertion, invisible dans la pratique, a pourtant une existence sociale puisqu'il alimente les discours. Toutefois, il reste introuvable dans le réel. Hors des institutions, insaisissable dans les statistiques, sa figure se moire peu à peu et sa réalité s'estompe au profit d'un concept condensant une multitude de représentations qui s'abreuvent dans la résonance d'un procédé de stigmatisation réduisant l'homme à sa seule déviance.

La construction de la figure de l'errant s'établit sur le mode de l'altérité radicale. L'opposition entre le même et le différent se nourrit de l'étrange et de l'effrayant et érige l'errant en un contre-modèle total et parfait. Déchet social, primitif, bête, monstre, possédé ou juif, telles sont les désignations que l'homme supporte, amplifiant sa différence, le fixant dans l'espace de l'irréel et du fabuleux. Radicalement impur, l'homme sans domicile est le témoin de la constitution d'un ordre symbolique organisant le social sur les modalités de l'insertion et de l'exclusion. En définitive, l'errant, n'est pas un homme, il est lui-même une figure symbolique de l'abjection qui le transforme en un archétype culturel et l'évince de l'humanité.

Afin d'approcher la compréhension d'une telle matrice, nous nous proposons d'approfondir encore notre vision trans-temporelle et de fixer notre attention sur la toile supportant et organisant notre arrière-fond culturel. A cette fin, nous tournons notre regard vers ce temps suspendu, a-historique, qu'est le récit mythique, parole princeps dans laquelle se raconte l'ordre du monde. Ce dernier chapitre que nous ouvrons se situe à la lisière de notre recherche et, s'il n'explique pas le fondement même de cette matrice, tente d'en apporter un éclairage.