D. Conclusion sur la réquisition du 7 rue du Dragon

L'événement aura duré trois jours. Les quotidiens ont mis en scène des acteurs et des problématiques subissant une transformation pendant ce laps de temps. Concernant les acteurs, nous avons noté, pour les deux premiers jours, la présence de l’abbé Pierre, celui-ci étant dépeint comme l'acteur et le manipulateur de l’opération, le négociateur avec le gouvernement et le déclencheur des discours politiques, entre autres celui de J. Chirac fortement déstabilisé par tous les quotidiens. Mais l’abbé Pierre disparaît au troisième jour de l'événement au profit d'acteurs politiques. L'association D.A.L. s'autonomise peu à peu de son assujettissement à ce "super acteur" mais ne parvient pas, en définitive, à prendre la tête du mouvement.

Les médias, eux-mêmes, sont des acteurs à part entière et s'auto-représentent comme manipulateurs de l'événement. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui autorisent l'évolution de la procédure de réquisition dans le champ du politique par l’intermédiaire de la bataille électorale. Néanmoins, rien n’a été formulé concernant l’application effective de la loi de réquisition. Les discours politiques ont fait part de demandes, de promesses mais n’ont pas débouché sur des actions concrètes de moyenne ou grande envergure. De plus, le départ de J. Chirac en direction de l’île de la Réunion aura fait en sorte non seulement de stopper le débat politique sur l’application de la loi de réquisition, mais aussi d'arrêter l’événement médiatique. Il semble que les médias ont formulé dans le champ politique la question du droit au logement parce que les acteurs de ce champ étaient présents dans le débat. Ces derniers ayant quitté l’espace, les médias n’ont pas continué sur cette optique et n’ont donc pas imposé cette problématique du droit au logement. Il y a donc eu interdiction pour les autres acteurs (associations, abbé Pierre, mal logés…) d’alimenter le débat même si ce sont ces derniers qui ont fait en sorte que ce débat soit ouvert.

Concernant les exclus, on a remarqué une évolution du lexique et une typification appréhendant ces derniers par les termes [d’exclus], de [sans logis / sans-abri], de [mal logés] ou bien encore de [familles]. Considérés comme des objets, ils sont évacués, dès le deuxième jour de l'événement, au moment même où le débat médiatique se centre sur les discours politiques. Nous avons noté, au premier jour de l’événement, une transformation des [mal logés] ou [sans-abri] en [familles] occupant une position normalisée au sein du tissu social. Dès lors, la transformation effectuée par la réquisition modifie l'inscription spatiale et, par là, l'identité sociale des mal logés ou sans logis qui acquièrent un statut clair et rassurant. Nous avons relevé que les [mal logés] étaient placés dans une situation où leur rôle d’acteur n’était pas totalement nié contrairement aux [sans-abri] décrits comme assujettis à l’abbé Pierre. Nous trouvons donc des catégorisations de l'exclu construites à partir de l'inscription territoriale signifiant sa présence et son rôle d’acteur au sein du fonctionnement social. Les termes d'exclu et d'exclusion se déploient, quant à eux, au sein du débat politique et la problématique posée évacue la réalité des [mal logés] ou des [familles] absentes des discours sur l'exclusion. On assiste, dès lors, à une "virtualisation" de l’exclusion, celle-ci faisant l’objet de débats et ne correspondant pas à la représentation des [mal logés] ou [familles]. Ces individus ainsi dénommés se trouvent donc dans l'impossibilité de revendiquer une action au sein du champ politique et de faire valoir leurs droits de citoyens, nous avons rencontré cette qualification dans tous les quotidiens étudiés. Parallèlement, les cadrages effectués sur la vie des habitants de l’immeuble réquisitionné insistent sur la différence et la marginalité de ces personnes. Seul, l'Humanité jouera la carte de l'identification mais le discours ne se situera plus dans le champ de l'exclusion mais dans celui de la précarité. Dès lors, deux axes se télescopent, une pensée théorique et politique sur l'exclusion et ses enjeux, des descriptions physiques de personnes réelles jugées inadaptées et désignées par les syntagmes de sans-abri et sans logis. C'est ce double discours sur l'exclusion mêlant virtualité et réalité, qui confère à la notion sa grande complexité et qui crée un espace d'entrechoquement dans lequel se confrontent deux niveaux d'analyse de la situation alimentant deux ensembles de représentations.