SECTION II. Analyse des entretiens

1. Résumés des entretiens

A. Entretien avec J., hébergé au foyer depuis quatre mois

J. est né en 1955 à Lyon de parents modestes. A quatre ans, suite au décès de sa mère, il est élevé par sa tante et son oncle. Il a trois frères dont il a été séparé et qu'il n'a vu que très rarement. Son père a été peu présent dans son enfance et J. n'en parlera pas dans l'entretien. Suite à des troubles du comportement, il est placé dans un I.M.P. à l'âge de huit ans et en sort à douze ans pour intégrer un circuit scolaire traditionnel auquel il ne s'adaptera pas, accumulant les retards. J. attribue ce placement et son échec scolaire à un "blocage" 594 car il s'estime être "quelqu'un de très capable". Il garde un souvenir positif de l'I.M.P. ayant rencontré un enseignant auquel il semble s'être beaucoup attaché même s'il souligne "avoir eu un barrage" avec l'épouse de ce dernier. Incapable de passer son certificat d'études par angoisse et stress de l'examen, il est placé comme apprenti chez un charcutier. L'angoisse est un thème récurrent chez J. qui narre ses peurs à l'embauche, aux examens professionnels, aux contrôles de la route quand il est arrêté par la police. Il se dit "pire qu'une femme", "prêt à pleurer" dans ce genre de situations. L'apprentissage se passe mal. Exploité par son patron, apparemment abusé sexuellement par le fils, J. est retiré par son oncle (qu'il appelle "mon père" tout au long de l'entretien) et placé dans un restaurant comme apprenti cuisinier. Après une obtention difficile de son diplôme pour cause d'angoisse à l'examen, J. est embauché à la compagnie des wagons-lits et passe son temps à voyager. La période est agréable et il rencontre une amie sur P. qui le quitte "en vidant l'appartement et le compte en banque" alors qu'il était en transit sur Moscou. Fortement ébranlé, "il saute dans le premier train" et part dans le Jura "pour goûter les vins". Il trouve un emploi de serveur dans la région et rencontre sa future épouse, "étudiante, préparant un bac de secrétariat". Ils se marient et partent vivre à O. où J. a quelques connaissances "pour qu'elle puisse trouver un travail". Ils vivront six mois dans une caravane. Salariés tous les deux, ils ont une petite fille qui décède trois jours après la naissance. J. parlera de "choc énorme, pire que pour sa femme". Quinze jours plus tard, J. perd son grand-père paternel qu'il adorait. Le couple quitte O. où repose la petite fille et se rapatrie sur Lyon. J. passe son permis de conducteur routier et s'absente pour des périodes pouvant atteindre jusqu'à quinze jours. Décidant de construire une maison, il cumule un emploi de gardiennage qui l'épuise. Ils ont deux enfants et J. "fait une première dépression" puis une autre. Il est hospitalisé dans une clinique deux fois six mois. A son retour, sa femme le quitte pour un autre homme, chose qu'il ne comprend pas, se dépeignant "comme le mari idéal". Il fait deux tentatives de suicide à bord de son camion et perd son emploi. Son divorce a été prononcé il y a trois ans et J. semble toujours épris de son ex-épouse. Il n'a pas revu ses enfants depuis un an et nous dit souffrir terriblement de cette situation. Peu après, il rencontre une femme qui a deux enfants chez laquelle il s'installe. Cette dernière le met à la porte assez rapidement tout en "lui ayant vidé son compte bancaire en utilisant sa carte bleue". Dormant dans son camion, J. est bientôt renvoyé de son nouveau travail, (encore conducteur routier) pour cause d'alcoolisme conjugué à des prises médicamenteuses et "atterrit au foyer". Sa première impression est désastreuse et il accuse l'institution de pas s'être occupé de lui. Il fréquente assidûment un lieu réservé aux toxicomanes dans lequel il trouve une écoute et surtout un certain calme tout en précisant qu'il ne veut pas "donner l'image d'un camé ou d'un malade du S.I.D.A." J. regrette de pas être retourné à l'hôpital afin de soigner sa dépression nerveuse. Il ne fréquente pas les lieux ressources réservés à l'accueil des S.D.F. les accusant de faire trop de bruit. J. est mécontent des aides qui peuvent lui être fournies et se sent "exclu du social" c'est à dire d'une prise en charge autant financière que morale. Il dit s'occuper des autres hébergés et leur réserver du temps s'ils ont besoin de parler. J. a "fait la manche" avant de toucher le R.M.I. Il raconte qu'il a dû changer son aspect physique pour augmenter ses gains: ne plus se raser, avoir une apparence sale et négligée et a beaucoup souffert de cette humiliation. J. est dans une période difficile car il s'était lié d'amitié avec un hébergé, ancien légionnaire, qui a retrouvé un travail dans une structure d'insertion et qui a quitté le centre d'hébergement. Se sentant profondément esseulé, abandonné, J. nous dit ne pouvoir se lier à personne d'autre et critique les autres hébergés. Leur violence, leur manque d'hygiène les fait ressembler "à des vrais S.D.F." et à "des cloches". J. se pense différent car il "n'a pas ça dans le sang". A notre question sur la nature du "ça", J. nous répond "qu'il y a des gens, que quoique tu fasses pour eux, ils s'en sortiront pas, car ils veulent pas s'en sortir". Si d'après lui, "certains ont souffert", il n'y a pas que "des accidents de parcours" et "chacun fait son choix". Il évoque les habitudes de saleté, de mendicité, inhérentes à ce genre de personnes et tente, par son isolement, de se différencier de ce groupe qu'il évite. Si J. n'évoque pas le refus du travail de ces populations, il embraye sur son ami qui "a trouvé du boulot" et qui lui manque terriblement. Au final, J. se pose la question d'une éventuelle hospitalisation dans une clinique de repos, estimant que sa place n'est pas dans un foyer.

Notes
594.

Les phrases ou expressions citées entre guillemets sont extraites des entretiens.