B. Entretien avec F., hébergé au foyer depuis trois mois

F. a quarante-sept ans et se définit comme "un grand voyageur". D'origine Belge, il a un fort accent Hollandais et parfois trébuche sur le vocabulaire Français. N'ayant pas la nationalité Française, F. ne touche pas d'allocations mais "se débrouille" et "pense positif". Il critique fortement les hébergés du foyer qui "se plaignent", "passent leur temps à pleurer sur leur sort", "boivent leur R.M.I.", volent, revendent les vêtements qu'on leur donne, insultent ceux qui travaillent ou qui les aident, et qui ont un comportement violent. Il les accuse de fainéantise et de "vivre des allocations sans réellement chercher à s'en sortir". Finalement, il les compare à des "bêtes". Il tient pour responsable de cette situation les hébergés eux-mêmes mais aussi les "éducateurs" et le système social dans son ensemble et préconise "d'éduquer" les individus ou de les "placer chez des paysans afin qu'ils travaillent". Toutefois, F. accuse aussi le "manque d'amour" dont ont souffert ces personnes et ajoute "qu'ils ne peuvent rien donner car ils n'ont jamais reçu". F. est un solitaire, il fuit les groupes et passe ses journées à la bibliothèque, au chaud, regardant les images des bandes dessinées. F. nous dit avoir eu beaucoup d'argent par les multiples affaires qu'il a montées et les escroqueries qu'il a commises. Il a connu la prison en Belgique mais aussi au Maroc pour détention de stupéfiants. Il a rencontré un psychiatre "pour voir si j'étais normal" mais a réussi à le duper "j'étais plus malin, j'étais vendeur, j'ai de la psychologie". S'il a aidé des personnes dans la misère, son choix s'est porté sur ceux qui le méritaient. F. ne se sent pas "exclusé" (exclu) car il "s'habille propre et on lui dit Monsieur". Il reste assez discret sur ses relations familiales. Il visite parfois sa mère à laquelle il semble très attaché et qui ne lui en veut pas de ses absences, "ça fait vingt-sept ans que je ne suis jamais à la maison, elle a l'habitude" et téléphone tous les cinq ans à son frère et à sa sœur qui savent qu'il est "un oiseau libre". En revanche, il ne parle pas de son père. Il cite aussi sa "copine" Japonaise qu'il n'a pas vue depuis longtemps mais qui lui envoie des cartes postales du Japon. Son rêve est de se faire construire un bateau pour faire le tour du monde et il collectionne les prospectus. Il nous dit "être tombé beaucoup et souvent", s'être "fait mal" mais ne désespère pas de sa situation et ajoute qu'il ne lui faut "pas grand chose pour qu'il se refasse", espérant "un travail au relais S.O.S." Son projet est d'acheter des objets en vente dans les journaux de petites annonces et de les revendre plus chers afin de s'enrichir. Il compte rembourser ses dettes au foyer mais aussi à sa mère qui a payé un avocat lors de son incarcération au Maroc, faire quelques économies et repartir pour de nouvelles aventures. Toutefois, un soupçon d'inquiétude l'assaille "ça fait un petit moment que j'attends", "j'ai mal au pieds", "il fait froid" et son image, telle une faille, lui rappelle sans cesse sa situation difficile et marginale "t'as vu ma peau? C'est comme si j'avais dix ans de plus", "mais bon, ça revient normal après y paraît quand on est normal".