C. Entretien avec T., hébergé au foyer depuis deux mois

T. a trente et un an et a vécu une enfance douloureuse. N'ayant jamais connu son père, sa mère étant partie à l'étranger, il est confié à sa grand-mère avec laquelle il travaillera, plus tard, dans un bar. Son adolescence est difficile et un éducateur veillera sur lui après qu'il ait commis quelques délits. Il attribue sa perte d'emploi et de logement à "un mariage foireux" et à son divorce. Depuis qu'il a repris une activité professionnelle (il travaille depuis une semaine), il espère retrouver un logement afin d'accueillir son fils auquel il semble très attaché. Son arrivée au foyer fut un moment pénible qu'il "n'oubliera pas", "je me suis dit je peux pas être tombé aussi bas", "j'ai ravalé ma fierté". T. se sent différent des autres hébergés décrits comme "violents" et "voleurs". Le foyer est défini "comme un mode à part" et désigné, dans son discours, par l'expression "là-bas". L'accusation est portée sur l'absence de différenciation entre les individus et T. souffre de la cohabitation avec "les cloches", "sales" et "alcooliques". D'autre part, il insiste sur le fait que le foyer "ne veut pas qu'ils s'en sortent" et que les hébergés "font vivre les associations" et procurent un emploi aux travailleurs sociaux. La promiscuité est vécue sur le mode de la contagion. "La peur de devenir comme les cloches" est prégnante et, afin de se sauvegarder, T. ne fréquente pas les associations ouvertes aux S.D.F. en journée. Il accuse avec véhémence le foyer de ne pas s'occuper de lui et l'épisode du linge donné à laver et rendu trop tardivement revient continuellement dans le discours comme preuve de l'incompétence du foyer et de l'abandon des hébergés. T. se sent profondément disqualifié et compare le centre à un "zoo" ou au "parc de la Tête d'Or" (les "bêtes" le peuplant étant les hébergés eux-mêmes) visité par une population intégrée (étudiants, stagiaires…) La souffrance liée à la perte de dignité et à la disparition de droits fondamentaux est forte et épouse les traits de soins médicaux médiocres: "c'est des étudiants en médecine qui viennent, mais en quelle année ils sont?", d'une nourriture "au rabais": "pour le jour de l'An on a eu des lentilles! T'imagines? Des lentilles…", de la tromperie: "la stagiaire du psychologue, je l'ai chopée, elle nous analyse sans nous le dire. Tu te rends compte, le mec il parle sans savoir et elle, elle l'analyse!". En définitive, "on nous prend pour des cons, à tous les étages". Etre exclu, c'est d'abord être stigmatisé: "il est allé à l'intérim, il lui a dit qu'il était au foyer, la fille elle a pris peur!" C'est aussi être condamné: "dès que tu sors la tête de l'eau, on te la renfonce" et, enfin, disqualifié: "t'es un exclu, ils font pas la différence, t'es comme les cloches". En cas d'échec de son projet qui est d'acquérir un logement afin de revoir son fils, T. partira vivre à l'étranger où il pourra "vivre au lieu de survivre". T. vit sa situation comme une injustice et déroule l'histoire de sa femme qui "lui a volé trois chéquiers", du foyer "qui ne lui lave pas son linge", des associations et des travailleurs sociaux qui les considèrent comme des sous-hommes et qui "les laissent bien au chaud dans notre merde", enfin de l'Etat Français, "poubelle de l'Europe" qui distribue de l'argent aux "Arabes et aux Roumains" et non à lui. La fuite vers l'étranger, vers cet ailleurs paradisiaque, intervient ici comme résolution des tensions et qui sait, peut-être, comme la recherche d'une image maternelle et maternante.