INTRODUCTION GÉNÉRALE

“ ‘Ce qui sauve, c’est de faire un pas. Encore un autre pas. C’est toujours le même pas que l’on recommence...’ ”
A. de Saint-Exupery – Terre des hommes

Actuellement, c’est un lieu commun que de parler de la fin des lettres classiques, et l’éducation nationale, qu’il s’agisse des inspecteurs pédagogiques ou des chefs d’établissement, se préoccupe du maintien des sections de latin (et que dire du grec !), dans les établissements. Les instructions officielles recommandent la sensibilisation aux langues anciennes, à travers l’étude de textes latins et grecs afin ‘« d’initier tous les élèves à la connaissance d’une culture fondamentale  »’ mais aussi de ‘« permettre à chacun de repérer dans le monde actuel l’héritage gréco-latin. En particulier, on identifie dans le lexique français un certain nombre de racines latines et grecques afin de faire comprendre ce qu’elles ont de fécond pour la langue française. »’ (Livret d’accompagnement des programmes de 6 e , CNDP, 1996 : 17). Cependant, alors que l’on recommande aux professeurs de français de faire percevoir aux élèves la dimension sociale (niveaux de langue) et historique (archaïsmes et néologismes) du lexique, le lien entre la néologie – non seulement savante mais également intellectuelle – et les langues classiques n’est jamais souligné, et ceci bien que les programmes actuels ouvrent l’enseignement du français à tous les types de discours (« textes documentaires, sociaux, fonctionnels »). De même, les programmes de l’option latin envisagent l’étude de la langue comme un moyen ‘« d’enrichir et de mieux comprendre la langue française, en particulier par l’étymologie  »’ (Programmes du cycle central- 5 e et 4 e, CNDP, 1996 : 119). De travail sur la néologie, point. On retrouve le même discours dans la Préface à l’Initiation à la langue latine et à son système (manuel pour grands débutants utilisé dans les facultés de lettres modernes) :

‘Depuis plusieurs années, la baisse de la proportion des bacheliers ayant fait des études de latin normales a eu pour conséquence l’augmentation progressive du nombre des étudiants désireux ou contraints de se mettre ou de se remettre au latin après leur entrée dans l’enseignement supérieur. (Initiation à la langue latin et à son système , préface ; Paris : SEDES, 1986 : 1).’

Si tous ces textes s’entendent sur la nécessité de connaître, même sommairement, les langues classiques – ou du moins, leur lexique –, ils ne justifient pas réellement les raisons de cette nécessité. Si l’argument étymologique est abondamment évoqué, l’argument néologique est tout aussi souvent oublié.

L’antienne corollaire à la disparition des langues classiques est celle de la domination de l’anglais dans le discours international, tant au plan de la communication que de la néologie. Au nom de la francophonie, on refuse donc cybernaute – formation exogénétique grecque sur cybernetic, de κυβερνετικη « science du gouvernement » (en rapport avec l’homme et la machine) et -naut, du grec ναυτης « navigateur » – pour adopter internaute. Observons le texte suivant :

‘Née dans le même temps que les mathématiques, à l’aube de la société humaine, la mécanique connaît au XXe siècle, un rythme de développement impressionnant. Tout processus de production, toute expérience de laboratoire et même les activités les plus simples impliquent largement le mouvement mécanique. Afin de connaître et de diriger les formes supérieures du mouvement de la matière, comme sont les mouvements physique et chimique, il faut, avant tout, bien maîtriser le mouvement mécanique, qui intervient dans toutes les formes de mouvement. Aussi bien les physiciens que les ingénieurs et les techniciens sont confrontés d’une manière permanente, dans leur activité, à de nombreux problèmes de mécanique. (Dictionar Poliglot, Préface : XIII) (12, 1% des mots de ce texte sont internationaux)’ ‘Die Mechanik, welche seit den ersten Anfängen der menschlichen Gesellschaft stammt, erfuhr, wie auch die Mathematik, vor allem im 20. Jh. eine geradezu explosive Entwicklung ihrer älteren und neueren Kapitel. Jeder Produktionsprozeß, jeder Laborversuch, selbst die einfachsten Handlungen des täglichen Lebens setzt eine mechanische Bewegung in weitestem Masse voraus. Um die höheren Formen der Bewegung der Materie, etwa die physikalische oder die chemische Bewegung kennen und leiten zu können, muß man zuerst die mechanische Bewegung gut beherrschen, da diese auf jeden Fall den höheren Bewegungsformen zugrundeliegt. Sowohl die Physiker, als auch die Ingenieure und Techniker sind in ihrer Tätigkeit stets vielfachen mechanischen Aufgaben gegenübergestellt. (Dictionar Poliglot, Vorwort : XI) (12,5% des mots de ce texte sont internationaux et 14,4% des mots sont issus du grec ou du latin ; sur ce ratio, 86,6% de mots sont des mots internationaux)’ ‘ Mechanics, appearing at the beginning of human society, will know in the XXth century an impressive developing rate. Every production process, every laboratory experiment, even the most common activities imply up to a certain extend the mechanical movement. In order to know and to direct the superior movement forms of matter, as for example physical or chemical forms, we have to know first very well the mechanical movement, because it will interfere all the above-mentioned movement forms. Both physicists and engineers or technicians will permanently face in their activity numerous mechanical problems. (Dictionar Poliglot, Foreword : VII) (13,9 % des mots de ce texte sont internationaux et 40, 8% des mots sont issus du grec ou du latin ; sur ce ratio, 34, 2% des mots sont internationaux) [les mots en italique gras sont des occurrences sur des types]’

Environ 13 % des mots de ces textes sont internationaux et ils sont globalement issus du grec et du latin. Il est clair que l’allemand n’utilise le grec et le latin que par emprunt (86 % des mots latins sont des mots internationaux), contrairement à l’anglais (dont seulement 40 % sont des mots gréco-latins internationaux). Ce qui laisse conclure que si l’anglais est une langue de communication internationale, pour des raisons extralinguistiques (politiques, « historiques » récentes, économiques, géographiques), les raisons linguistiques spécifiquement anglaises de cette internationalisation (parmi les facteurs traditionnellement invoqués, signalons la facilité d’apprentissage, la souplesse morphologique, syntaxique et lexicale, la concision, la « créativité sans cesse en éveil » (Bacquet, 1974 : 5)) sont plus douteuses. Dans le texte en anglais, 38 mots-types et parmi 45 mots-occurrences sont d’origine latine ou grecque, ce qui représente 48 % des mots-occurrences du texte. Voyons maintenant si l’anglais est la source de ces mots internationaux :

allemand anglais
Mechanik Mechanics
Mathematik (mathematics) < ; AF
Produktion- < ; F. production < ;AF
prozeß process < ; AF
Labor- laboratory
mechanisch mechanical
Formen form < ; F.
Materie matter < ; Anglo-f
physikalisch physical
chemische chemical
Physiker physicist
Ingenieur < ;It. engineers < ; AF
Techniker technician

D’après les sources lexicographiques, aucun de ces mots n’a été emprunté à l’anglais. Concédons-le, ils sont entrés dans les langues à une période où cette langue n’était pas encore considérée comme une langue internationale. Observons donc le lexique informatique, et plus particulièrement de l’internet, domaine particulièrement américanisé :

42 mots sur 46 sont d’origine latine ou grecque. Certes, ces termes ne sont pas utilisés sous leur forme syntagmatique, mais sous leur forme siglée ; l’usager n’a donc pas de conscience linguistique classique. Mais penchons-nous sur quelques mots lexicaux du même domaine :

Là encore, le latin domine, directement ou par l’intermédiaire du français. Il convient de noter que ces formations sont de plus en plus savantes, voire classiques : considérons octet (surtout s’il est associé des éléments comme giga, kilo, mega) – créé en 1919 par Irving Langmuir pour désigner un groupement de 8 électrons (oct « huit ») formant la couche extérieure complète d’un atome, et repris en 1960 pour désigner la base de 8 caractères binaires utilisée dans le langage machine – ou cyber(inter)naut, voire multimedia – de multi et media , abréviation de mass media (1923), de mass < masse (late ME < F) et de media).

Dans les sciences et les techniques, qu’elles soient de pointe et de haut niveau, voire dans la politique et dans les médias pour intellectuels, on ne rencontre en fait que rarement au niveau international, en dépit de ce que l’on dit, des mots d’origine anglo-saxonne, ou de mots provenant d’une langue romane (encore que ceux-ci soient difficiles à isoler des mots latins), mais des mots d’origine (ou de facture) grecque et surtout latine, qui ont pu apparaître par emprunts ou par création exogénétique en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Italie ou en France.... Autrement dit, les terminologies, nomenclatures et simples vocabulaires plus ou moins spécialisés – de moins en moins, du fait des médias (octet, media, cybernaut en sont la preuve) – les discours des intellectuels ou des ingénieurs ne fourmillent pas d’« anglicismes » sauf, bien entendu, si l’on considère comme tel un mot comme computeur – formation exogénétique latine effectuée sur computare – parce qu’il a été forgé par un américain. La philologie historique montre que la « nationalité » dominante de computer est latine : computer est construit par suffixation de la base comput- par le suffixe -er , suffixe qui s’avère être une correspondance-emprunt millénaire avec le français -eur, adaptations l’une et l’autre du latin -or. Dès lors, attribuer aux mots une nationalité – comme une sorte de brevet d’invention – semble peu judicieux. C’est pourtant ce type de raisonnement qui conduit Armand Cuvilier à déplorer la défrancisation du langage philosophique :

‘qui amène certains de nos jeunes philosophes à ne plus pouvoir s’exprimer, semble-t-il, qu’en farcissant un français approximatif de termes calqués sur l’anglais et surtout l’allemand. On ne dit plus recherche : on dit approche (par imitation de l’anglais approach) ; on ne dit plus état de fait, on dit facticité (par imitation de l’allemand Faktizität), et j’imagine le nombre de contre-sens qu’a du entraîner chez les non-initiés ce terme ainsi employé en un sens exactement opposé à celui qu’il a en bon français ! (Nouveau vocabulaire philosophique, préface ; Paris : Armand Colin, 1969 : 6) ’

Il est intéressant de constater que la défrancisation que déplore Cuvilier, qui pourfend au passage l’anglais (langue universelle) et l’allemand (langue philosophique), est illustrée par des exemples empruntés au latin (approach : (1489), substantivation du verbe to approach, entré en anglais durant la période moyen anglais, du latin ecclésiastique appropriare, avec influence vraisemblable de l’ancien français aproch(i)er ; Faktizität, de faktitiv, emprunté au 19e siècle au latin factitare – ou au français dans un sens puisque « facticité » date de 1873 et a pris un sens spécial avec Husserl).

Un examen un tant soit peu approfondi des langues européennes semble montrer que les mots empruntés par celles-ci à l’anglais sont majoritairemnt d’origine grecque et/ou latine. Si les langues classiques disparaissent comme moyen d’expression écrite, elles semblent perdurer sous la forme d’un réservoir des matériaux nécessaires aux importants besoins de création lexicale.

C’est donc par curiosité personnelle envers le discours général que j’ai voulu observer les origines d’un mouvement qui semble se renforcer avec le temps. En effet, la création lexicale, mais surtout la création terminologique – pour les sciences dures – et celle des nomenclatures – pour les descriptions scientifiques de la nature ou des assemblages techniques que l’homme invente –, sans parler des créations philosophiques, religieuses, ou simplement savantes, – comme celles du discours politique –, obligent tout « inventeur » à construire en même temps que son « invention » (au sens large) un réservoir de vocabulaire qui lui sera propre – ou qui se généralisera – par emprunts adaptatifs ou par création exogénétique. Les habitudes européennes se sont adressées le plus souvent aux deux langues « universelles » de l’Antiquité qui avaient inauguré ce processus de création : le grec et le latin, héritiers des découvertes et des organisations politiques de la Mésopotamie et de l’Égypte antique. Cela ne s’est pas fait sans combats, ni résistances, au fur et à mesure que les langues de cultures latine et grecque évoluaient, se créolisaient sans doute pour donner des parlers vulgaires très différents d’une région à une autre. D’aucuns ont voulu promouvoir ces nouveaux parlers, en les standardisant et en les enrichissant « endogamiquement », d’autres ont été partisans d’emprunter aux langues anciennes.

C’est ce combat qui nous intéresse, c’est sa description et son explication jusqu’à la fin du 19e siècle que nous souhaitons pouvoir tracer en traits plus saillants que ceux que nous transmet la tradition linguistique et sociolinguistique. En raison des factions en opposition, nous nous sommes demandé si la construction du lexique scientifique est indépendante de la langue dans lequel s’expriment les auteurs.

Est-il réellement besoin d’expliciter les bornes historiques de cette recherche ? De la chute de la Romania à la naissance de la linguistique moderne, du premier avatar d’une langue qui a cessé d’être la koinè officielle d’un empire à la constitution d’une discipline, c’est en quelque sorte le chemin méthodologique que nous avons choisi de suivre. Pierre Swiggers (1997 : 2) le souligne, le langage est un objet individuel, social et abstrait : ce sont ces trois aspects, à travers la création terminologique, l’histoire de la langue et l’histoire des théories linguistiques que nous aborderons. Certains penseurs nous servirons de point d’ancrage – Bacon, Leibniz, le groupe des Idéologues, Comte –, mais trois figures tutélaires se dégagent : Locke, Condillac, Humboldt. Pourquoi un tel choix alors que Descartes, Berkeley ou Hegel ont largement contribué à faire progresser la question du langage ? Julia Kristeva (1972, article “Sémiologie” de l’Encyclopedia Universalis) les qualifie de fondateurs d’« une théorie matérialiste de l’entendement à partir de la grammaire » ; cet exposé, fournira, nous l’espérons, une justification à ce choix et à cette assertion. De l’empirisme au positivisme, cette chronologie, certes sentimentale, est également celle de la constitution de la théorie du signe et de la théorie de la connaissance, dont les chemins se rejoignent souvent dans notre propos. Cependant, malgré son organisation chronologique, cette étude n’est pas linéaire : les tendances se chevauchent parfois, certains phénomènes sont parallèles.

Ce travail se divise en trois parties et quinze chapitres.

Les deux premières parties de ce travail décrivent le contexte historique dans lequel se sont élaborées les langues européennes. Il s’agissait pour nous de présenter les éléments explicatifs et de retracer le cheminement sociolinguistique qui a conduit au cadre socio-culturel de ce qui constitue notre thèse à proprement parler.

Ces deux parties constituent en quelque sorte un essai, et les phénomènes exposés sont pour un certain nombre d’entre eux des hypothèses, l’étendue du champ abordé ne nous ayant pas permis de pratiquer une recherche systématique et exhaustive ; ainsi, nous n’avons pas travaillé sur un corpus global. Cependant, nous n’avons pas abandonné tout travail empirique pour autant : nous avons effectué des statistiques sur des corpus partiels, par langue et par période. Les trois langues sur lesquelles nous avons travaillé sont le français (corpus formés à partir du Petit Robert), l’allemand (corpus formés à partir de l’Etymologisches Wörterbuch des Deutschen) et l’anglais (corpus formés à partir du Shorter Oxford English Dictionary), qui représentent les trois grands pôles des langues occidentales : langue romane, langue non romane, et créole. On trouvera ces corpus partiels en annexe. Parallèlement, nous avons également présenté des micro-corpus par domaines mettant en parallèles ces trois langues avec leurs sources latines ou grecques, afin de mettre en évidence la pénétration du fonds classique dans les langues standards. Des études lexicales effectuées sur des textes représentatifs au plan du contexte socio-historique complètent cette illustration.

Dans une troisième partie, alors que ce que Daniel Baggioni (1997) appelle la première révolution écolinguistique est achevée, nous abandonnerons la problématique de la langue pour nous consacrer à celle du lexique scientifique. En effet, ce n’est à partir de la seconde moitié du 18e siècle, alors que les langues étaient enfin admises comme langue d’expression scientifique, que nous pourrons à proprement parler de langue des sciences, c’est à dire une variété de la langue commune spécialement dévolue aux sciences, et dont la principale caractéristique est le lexique. Pour cela, nous nous nous pencherons alors sur les interactions entre connaissances linguistico-philosophiques et connaissances scientifiques, comme sur l’influence de ces interactions sur la terminologie. Nous nous demanderons si le statut des langues classiques se trouvera modifié par l’avancée des connaissances linguistiques comme par les changements de l’épistémè. Pour cela, nous avons effectué une étude systématique de formants savants (préfixes, suffixes et formants dotés d’une fonction de représentation ou enregistrés comme tels par Henri Cottez (1989)).

Dans l’ensemble de ce travail, les notions et concepts les plus importants sont analysés selon un point de vue lexicologique.

Afin de mener à bien un travail qui touche à de nombreux domaines, nous avons travaillé sur des ouvrages théoriques historiques, linguistiques et philosophiques – Cassirer, Gusdorf, Dagognet, Foucault nous ayant fourni la trame de cette étude –, mais aussi sur des textes anciens et des anthologies, comme sur divers dictionnaires et encyclopédies que l’on trouvera dans la bibliographie, organisée selon cette tripartition.

Avant d’aborder cette étude, il convient de définir quelques termes essentiels.

Nous qualifierons de scripturaires (du latin scriptio « action d’écrire » « travail de rédaction ») ou scriptae les langues officielles d’écriture, que ne parlent et n’écrivent que les travailleurs intellectuels et/ou au service du pouvoir. Celles-ci deviennent des langues stato-nationales, c’est-à-dire des langues étatiques ou nationales, et, dans de rares cas, les étatiques et nationales. En ceci, elles s’opposent aux langues vernaculaires, langues premières parlées par les individus, et qu’ils ont apprises de leur entourage, contrairement à la scripta, qui est une langue d’apprentissage scolaire. Ces scripturaires sont des variétés supradialectales, et remplissent le rôle de langues de diffusion à l’intérieur d’un territoire politique donné où domine le plurilinguisme.

En ceci, elles sont des langues véhiculaires. Le terme véhiculaire est un hyperhonyme qui désigne toute langue de diffusion qui assure la communication entre groupes linguistiques différents. Parmi les langues véhiculaires, il convient de citer la lingua franca et la koinè. La koinè désigne une variété écrite, possédant un corpus de textes, ce qui n’est pas obligatoirement le cas de la lingua franca. Autre point de différenciation, la koinè est une langue qui appartient à un groupe linguistique donné et qui est choisie comme langue de diffusion, alors que la lingua franca, est composite ou évolutive ; en raison de ceci, la lingua franca est internationale, alors que la koinè est stato-nationale. Enfin, nous considèrerons que la lingua franca appartient à un groupe social, religieux ou professionnel (comme les marins des ports qui utilisaient la lingua franca historique), alors que la koinè est une simple langue de diffusion, qui, dans les faits, peut se spécialiser à un groupe.

Le xénolecte et le sociolecte sont dans le même type de rapport d’opposition : le sociolecte est la langue d’un groupe social ou professionnel donné, alors que le xénolecte est une langue de diffusion, qui peut se spécialiser à un groupe. Cependant, le xénolecte est une langue en position d’extranéité au sein de la communauté linguistique dans laquelle il est utilisé, alors que le sociolecte est une variété de la langue commune.

On le constate, les trois axes essentiels autour desquels s’articulent les notions définies ci-dessus sont ceux de la diffusion, de la norme et d’appartenance de groupe. Ces trois notions, qui définissent les fonctions du latin dans Europe de l’Ouest médiévale puis moderne, sont celles qui guident l’élaboration d’une langue des sciences. Car cette thèse, dont le préalable est le tableau diachronique de l’utilisation des langues classiques depuis l’Empire romain jusqu’à nos jours, est avant tout une tentative de description des facteurs sociaux, historiques, culturels et scientifiques qui ont présidé à l’émergeance d’un lexique qui supplante le latin comme langue d’expression scientifique.