PREMIÈRE PARTIE
La tradition romaine dans la création lexicale européenne de l’Antiquité aux abords de la Renaissance

Curieuse histoire que celle du latin, qui ne disparaît pas avec l’Empire d’Occident2, les peuples conquis n’étant pas impatients, contrairement à ce que l’on pourrait penser, de se débarrasser d’un joug linguistique. Herman (1967 : 21) a en effet souligné que la romanisation n’a pas été un processus planifié, mais un phénomène progressif généré par les besoins quotidiens des peuples vaincus au contact des soldats, marchands, colons, administrateurs romains. Car la colonisation romaine est la préfiguration de la colonisation européenne du 16e au 20e siècle : occupation des lieux clés, grands domaines, gestion imposée en latin, école pour les cadres locaux, promotion de ces cadres à partir du Moyen-Empire, qui peuvent devenir empereurs, consuls, administrateurs. Ce phénomène, d’une durée d’environ 400 ans, a cependant donné lieu, là où elle s’avère possible3, à une planification latinophone favorisant la garde des frontières et la pax romana.

Le maintien du latin sous une forme évolutive, le latin vulgaire, n’est pas en réalité un phénomène interne sans doute dû à la créolisation avec l’osque, l’ombrien, l’étrusque, etc., dont on trouve les indices chez les auteurs comiques comme Plaute ; ce latin vulgaire parlé par le peuple des grandes villes – et par les soldats de toutes sortes de vernaculaires – évoluera assez vite, surtout phonétiquement, morphologiquement et syntaxiquement, dès le Moyen-Empire. Au contact des langues des différentes colonies donnera naissance à des langues nouvelles qui constituent le groupe des langues romanes. Mais il ne s’agit là que d’un processus bien connu des linguistes.

Le plus étonnant semble être la pérennisation du latin standard sous des formes proches des structures classiques, grâce aux efforts de certains tenants du pouvoir temporel, spirituel et culturel des peuples vaincus par l’Empire comme vainqueurs de celui-ci. Cette survie est le fruit de son association aux structures qui assureront le maintien de l’unité occidentale durant les quelques siècles qui séparent l’Empire Romain de l’Empire Carolingien : la religion chrétienne ainsi que l’organisation administrative et juridique.

Notes
2.

L’Empire d’Orient, fidèle au grec, n’est pas pour l’instant concerné.

3.

Donc très peu en Angleterre, trop lointaine, et au Moyen Orient, profondément hellénisé.