1. 3. 4. De la laïcité à un cadre juridique en langue vulgaire

Les villes, dont la résurgence débute au cours du 10e siècle, regroupent une population de plus en plus importante. Comme le soulignent les historiens, avec ce nouveau type de communautés apparaîtra rapidement la nécessité de créer un nouveau cadre juridique, les lois ayant été créées jusqu’alors dans le but de réglementer une économie et une sociologie dont le noyau central est le fief34 (rapports d’homme à homme, d’une population peu mobile et attachée à la terre).

Le climat d’entraide généré par la concentration urbaine permet de donner naissance aux premiers regroupements de commerçants et d’artisans – nouvelles catégories professionnelles dont le revenu n’est pas issu de la terre35. En effet, l’habitant de la ville, le bourgeois (nom souvent synonyme de marchand qui apparaît en moyen anglais, en 1080 en français, durant le 9e siècle allemand), en échappant à la domination du seigneur, échappe aussi à sa protection dans les conflits internes comme externes à la communauté. Se sachant menacé car sans défense, il doit se suffire à lui-même pour la défense de la ville, mais aussi pour la justice et les finances, tâches traditionnellement allouées au seigneur.

Persécutés jusqu’à la fin du 11e siècle, les commerçants et artisans réussissent à accéder à une certaine sécurité en se regroupant en communes, villes affranchies du joug féodal (du latin médiéval communia ; le terme entre en allemand, en italien et en français au 12e siècle). Avec l’institutionnalisation du système communal, apparaissent, au 12e siècle, les premières lois destinées à leur protection et à la réglementation de leur activité. En effet, grâce aux consuls (emprunt datant des 11e-12e siècles au latin par les langues française, italienne et espagnole où le phénomène des communes est particulièrement implanté), leurs représentants auprès du corps de la ville, les commerçants et artisans détiennent une part importante de la gestion municipale, et donc, de l’élaboration des lois.

Au 12e siècle, la bourgeoisie, intermédiaire entre le commun et l’aristocratie, est constituée en classe sociale. Elle détient un certain pouvoir économique et politique ainsi qu’une instruction suffisante pour tenir des livres de compte et gérer ses affaires. Mais, ne connaissant pas les langues classiques, elle n’a aucun accès direct à la défense de ses droits. Elle rejoint le parti des seigneurs et des chevaliers, qui, souvent illettrés, sont à la merci des clercs pour tout ce qui concerne le droit et l’administration36. Ces derniers, qui ont hérité leur statut des fonctionnaires impériaux disparus avec le monde romain, tiennent leur pouvoir des rois mérovingiens et carolingiens. Ce pouvoir qui leur a été attribué de fait s’est vu renforcé par la promotion de la langue latine au détriment des langues locales, à l’instigation d’Alcuin et de Charlemagne37. Cette spécialisation linguistique en fait les détenteurs quasi monopolistiques de la législation, leurs compétences latinographes en faisant des intermédiaires obligés à l’élaboration de tout acte juridique38.

Notes
34.

À partir du 10e siècle, le système juridique fondé sur l’origine ethnique, ou personnalité des lois, disparaît pour être remplacé par la coutume, qui relève du droit territorial.

35.

Ce sont souvent des étrangers sédentarisés, des anciens agents d’évêques ou de nobles.

36.

En réaction, une littérature bourgeoise où les clercs sont abondamment critiqués se développe dans le Nord de la France et dans une partie de l’Italie à la fin du 12e siècle.

37.

Si Charlemagne protégeait le germanique, il s’était peu intéressé au roman.

38.

Les grands clercs qui ont marqué le règne de certains souverains, comme saint Éloi avec Dagobert, Alcuin avec Charlemagne ont mis longtemps leurs confrères à l’abri de la vindicte des illettrés. Leur statut de religieux les place au-dessus de la masse des fidèles, et ils n’oublient pas de faire sentir cette supériorité. Ainsi, le mouvement communal, et autres mouvements de révolte sont souvent dirigés contre le pouvoir des évêques qui dépasse largement le cadre du spirituel.