3. 2. 2. 1. L’ars Grammatica en évolution

En effet, en opposition avec la culture monastique qui avait valorisé les arts du langage, les maîtres d’école du 12e siècle insistent sur la dialectique et la logique. L’un des instigateurs de ce mouvement est Abélard, qui, contribue à faire de l’art de la dispute une discipline autonome. La recherche grammaticale évolue vers une connaissance des arcanes de la langue de plus en plus complexe. Les techniques de réflexions et de raisonnement qui vont beaucoup progresser, au contact des sciences grecques et musulmanes, et, dans le domaine grammatico-logique, la redécouverte d’Aristote. Car l’apport gréco-arabe ne se limite pas à une masse d’informations nouvelles qui infiltreront lentement la culture occidentale, mais aussi des méthodes de travail et une vision du monde : ‘« J’ai en effet appris de mes maîtres arabes à prendre la raison pour guide, toi tu te contentes de suivre en captif la chaîne d’une autorité affabulatrice. »’ dit Adélard de Bath à un traditionaliste (cité par Jacques Le Goff (1957 : 59).

La grammaire doit s’adapter à ce nouvel état de fait et devient, à partir du milieu du 13e siècle, une science des règles générales applicable à toutes les langues.

Au siècle suivant, Roger Bacon aborde la langue sous un jour jusqu’alors inconnu. Lui-même plurilingue, il distingue les variantes dialectales françaises, à qui il attribue le terme d’idiomata :

Il cherchait surtout à comprendre la contribution que chaque langue apporte en venant au monde : il démontrait que le français, après le grec, possède un élément grammatical indispensable à la logique, l’article ; que l’anglais et le saxon ont la faculté de former les mots les plus courts et les mots composés les plus favorables à nommer des réalités complexes (Balibar, 1993 : 78).

Les réflexions sur la grammaire, même si les exemples ne sont pas pris dans les langues vulgaires, ne se circonscrivent pas aux seules langues anciennes, quoique, comme le souligne Robins78 (cité par Bertil Malmberg (1991 : 122)), le raisonnement se fonde sur la projection des structures des langues grecques et latines. Si au 12e siècle, une grammaire du gallois est élaborée79, il s’agit d’un épiphénomène. Il faudra attendre le milieu du siècle suivant, avec les traités grammaticaux du provençal, et la fin du même siècle, la grammaire française de Gauthier de Bibbesworth pour que soient effectuées les premières descriptions des langues vulgaires. Mais beaucoup des ouvrages et des recherches grammaticaux sont tournés vers l’enseignement du latin, et les textes de référence restent les grammaires de Donat et Priscien :

Le but pédagogique n’en était donc pas en premier lieu philologique, avec l’usage des auteurs classiques comme modèle, mais l’enseignement d’une forme de langue qui peu à peu était arrivée à établir ses propres normes, marquée par une simplification des règles classiques, par un vocabulaire adapté aux besoins actuels parfois suivant des modèles grecs (en matière de langue savante) ou tiré des langues populaires (dans l’administration ) (Malmberg, 1991 : 119).

Notes
78.

Ancient and Mediæval Grammatical Theory in Europe (1951 : 90).

79.

Des grammaires de la langue irlandaise datant du 6e siècle sont répertoriées, tout comme l’application de la terminologie grammaticale de Priscien à la langue datant du 9e siècle. Mais l’Irlande, foyer de culture, et ceci avant les influences romaines, était en avance sur le continent.