3. 2. 2. 2. La langue scolastique

Dans le vaste mouvement de rationalisation des domaines de la réflexion comme de recherche d’outils adaptés à celle-ci, l’Université médiévale se dote d’une méthode propre, héritée de l’évolution de la pensée du siècle précédent.

La scolastique part du postulat que la pensée scientifique est une profession à part entière, dotée de ses règles et ses lois :

‘C’était en vertu de ces lois qu’ils avaient à se forger un langage nouveau d’une rigueur absolue. (...). La langue de la scolastique est rationnelle. Elle avait été créée par une intelligentia cherchant à saisir l’essence même des choses et, en ce faisant, suivre la logique interne qui détermine l’ordre du monde. Il existe pour la scolastique une correspondance intime entre les lois de la langue formalisée par la logique et la conformité avec cet ordre du monde qui est l’objet de la métaphysique. La raison qui avait créé la langue technique de la scolastique n’obéissait pas à une logique pure, vide et formelle, telle que celle-ci apparaît dans une scolastique postérieure décadente. C’est au contraire une raison à la recherche du monde et qui, dans ce but, se créa une langue nouvelle pour exprimer ses découvertes (Malmberg, 1991 : 118). ’

S. Pinekaers, dans Le langage scolastique, langage rationnel, cité par Malmberg (1991 : 118-119), donne ainsi la définition du langage scolastique :

Bertil Malmberg signale que ce sont les traits qui définissent, mutatis mutandis, les langues scientifiques. En apparence, et en théorie, certes, mais nous verrons plus tard que cette assertion mérite quelques réserves (3e partie). Ce qu’il semble important de signaler, comme le souligne Bertil Malmberg, c’est que cette approche est la première manifestation d’une réflexion à caractère terminologique : les scolastiques prennent conscience que la science nécessite un aménagement du vocabulaire à ses objectifs propres. Il s’agit de la première tentative de création d’une terminologie, doublée de la perception de la portée et des conditions de création de cette terminologie. Ce fait est révélateur de l’évolution accomplie par la réflexion linguistique comme d’une certaine prise de conscience de l’épistémè scientifique.

Cependant, la scolastique se sclérosera avec le temps et son latin jugé barbare provoquera les lazzis des humanistes :

‘Sa langue, le latin, s’il demeure une langue vivante car il sait s’adapter aux besoins de la science du temps et doit y exprimer toutes les nouveautés, se prive des enrichissements des langues vulgaires en plein essor, et éloigne les intellectuels de la masse laïque, de ses problèmes, de sa psychologie (Le Goff, 1957 : 132).’

La situation n’a pas évolué depuis Ælfric, qui préférait initier les laïcs au latin plutôt que de traduire la Bible80. L’Église s’oppose toujours à la traduction des textes sacrés. Elle voit dans le maintien de la tradition un moyen de garder les moines des tentations du monde :

‘Chez les clercs, la préférence pour le latin semblait une sauvegarde contre des préoccupations trop liées à la vie du monde : l’attachement à la langue de la liturgie et de la théologie, fixant l’esprit à une expression et à des concepts proprement religieux était une défense contre d’autres genres de préoccupations (Chaurand, 1969 : 58).’

La seconde moitié du siècle marque une nouvelle étape dans l’histoire des relations des intellectuels avec le latin :

‘À cette époque, le latin se recroqueville sur son rôle de langue érudite, savante, ou ecclésiastique, et l’expression littéraire précipite son transfert sur les nouveaux idiomes, jusqu’alors assez informes (Wolff, 1971 : 236)81. ’
Notes
80.

C’est pourquoi il mettra au point une grammaire, constituée de dialogues imaginaires latin/anglo-saxon, auxquels est attaché un glossaire de 3000 mots.

81.

Il convient de mentionner ici l’exception que constitue Alexandre de Villedieu, qui, vers 1200, aurait enseigné dans une langue du haut Moyen Âge, et proche de la lingua franca médiévale.