5. 2. 1. Le positivisme politique

En effet, la philosophie politique oeuvre dans ce sens. Le 14e siècle renonce à l’unité des deux pouvoirs, et, sur les traces de Dante, prône l’autonomie de l’État. Georges Gusdorf signale à ce propos :

‘Le XIVe siècle consacre (...) la désagrégation conjointe de la papauté, de la scolastique et de la communauté occidentale. Le schéma de la romania perd son caractère de principe régulateur de l’Europe. La politique deviendra cette dynamique des rapports de force dont Machiavel sera le théologien, justifiant, avec deux siècles de retard, l’oeuvre des légistes de Philippe le Bel ; mais, dès avant Machiavel, les tenants de l’averroïsme politique avaient audacieusement entrepris de démythifier le domaine politique et social (Gusdorf, 1967 : 279).’

Signe des temps, c’est à cette époque que le terme monarque, du bas latin monarchus, lui-même du grec μοναρκηος (de μονος « seul » et αρκος « chef », de αρκειν « commander ») entre dans les grandes langues européennes. Le français emprunte le terme en 1370 sous la forme adjectivale, puis le substantive en 1480 en monarche qui devient monarque en 1548. Le terme monarchie, emprunté plus précocement (1270), au bas latin monarchia (« gouvernement d’un seul »), prend en 1330 le sens « régime politique où le chef de l’État est un roi héréditaire », phénomène qui indique l’assise juridique que donnent à ce concept les intellectuels au service du pouvoir. C’est à la même période que l’Angleterre, sous l’influence de la France, emprunte le terme ; le substantif monarch apparaît un peu plus tard (1450). Lui succédera une série de composés indiquant l’importance de ce concept : monarchical (1576), monarchal (1586), monarchize (1592), monarchess (1586). Quant à l’Allemagne, ce n’est qu’au 16e siècle qu’elle empruntera Monarch et Monarchie.

Le Defensor Pacis (1324) de Marsile de Padoue est l’ouvrage politique le plus marquant de la période. Il étudie l’approche laïque de la structure, de l’organisation intérieure et des rapports mutuels de l’État et de l’Église. Il en découle que les hommes ont deux fins, deux modes de vie, et doivent se soumettre à deux pouvoirs distincts. Le champ d’action de l’Église et de la classe sacerdotale, ainsi restreint au métaphysique et au religieux, n’autorise pas d’intervention dans le pouvoir temporel. En d’autres termes, l’ouvrage de Marsile de Padoue revendique l’autonomie nationale, les droits du prince, la souveraineté de l’État et l’affranchissement de la tutelle papale. Bien plus, il n’hésite pas à avancer le droit des laïcs à intervenir dans la vie et dans le gouvernement de l’Église, et à prendre ainsi la direction du spirituel comme du politique et du social.

Le franciscain Guillaume d’Occam, quant à lui, prône une conception exclusivement spirituelle de l’Église, dont les fonctions doivent demeurer purement pastorales, la gestion et l’administration revenant aux princes, défenseurs de la paix civile et religieuse. Dans son De ecclesia (1378) Wyclif, théologien à l’Université d’Oxford et conseiller du roi dans diverses négociations financières avec la papauté, refuse la délégation de la puissance divine. Les hommes dépendent directement de Dieu, et le roi, en tant qu’homme, n’a de compte à rendre qu’à Lui. Cette position sous-tend la désacralisation des institutions de l’Église parallèlement à la valorisation de l’État, instrument indispensable à la régulation et à la sanction des péchés humains. En effet, Wyclif ressuscite au profit du roi la doctrine sur l’obéissance passive de saint Grégoire le Grand : le souverain, vicaire de Dieu et représentant de la royauté du Christ a droit à l’obéissance, quels que soient ses actes. Son devoir est de gouverner selon la justice et la loi : toute juridiction dérive de lui, et il lui appartient de corriger les manquements et les abus de l’Église.