5. 3. Des politiques linguistiques au service de la chose publique

L’édification politique des États doit autant à l’élaboration par les juristes d’un sentiment d’appartenance, qui, fonctionnant de manière verticale, génère l’obéissance inconditionnelle du sujet à son souverain, qu’à celui qu’engendre la langue commune, qui opère dans la direction horizontale, et cimente la société civile. La langue nationale relaye et redouble les constructions des politologues : son épanouissement rehausse la personne royale comme le gouvernement. Inversement, les chroniques, comme celles de Robert de Gloucester ou de Higden, évoquent souvent les situations linguistiques.

Ce n’est pas un hasard si Alphonse X et Charles V, souverains qui mettent en place une politique de traduction, sont de ceux qui élèvent les langues scripturaires au rang de langue des chancelleries. En effet, les politiques de traduction, en équipant les langues, les rendent aptes à de nouveaux usages, comme celui de l’administration et de la politique. Car les chancelleries sont des lieux de culture dans la mesure où elles ont charge de l’écriture et de l’expédition des actes au nom du pape, du prince, ou de la communauté urbaine. Si le personnel de ces institutions est au départ composé de clercs formés sur le tas qui assument des tâches administratives, il va peu à peu être remplacé par des lettrés dont la formation est de plus en plus aboutie. En Allemagne et en Italie, ce sont les luttes intestines entre le Pape et Frédéric II qui vont générer ce changement, le 13e siècle transformant peu à peu la culture en arme politique. En France, l’augmentation des actes royaux sous Philippe le Bel modifie le recrutement des chancelleries. Au milieu du 14e siècle, c’est la chancellerie d’Avignon, au personnel universitaire brillant, qui donne le ton. La culture des chancelleries atteint son apogée en France comme en Italie à la fin du 14e siècle, la nouvelle culture favorisant le beau style comme la culture littéraire. Non seulement les chancelleries rédigent les écrits techniques, mais elles prennent peu à peu en charge la rédaction en vulgaire de textes de propagande, de chroniques et d’histoires du pays (cf. Beaune (1999 : 234-237)).