5. 4. L’affirmation centrifuge : des traductions religieuses

Car au tournant du 13e et du 14e siècles, l’assise de la papauté est minée par certains princes audacieux. Les papes doivent composer avec des entités nouvelles, comme les princes, les États monarchiques, les villes :

‘ces entités nouvelles, résolues non seulement à ne pas se soumettre à la tutelle d’une autorité spirituelle suprême mais même à exercer sur l’Église, dans leur ressort territorial, un contrôle politique efficace, voire, éventuellement, certaines ponctions fiscales (Verger, 1983 : 125). ’

En Angleterre, une église nationale tend à se constituer : deux statuts du parlement (en 1351 et 1353), donnent au roi les moyens de se substituer au pape dans la majeure partie des affaires concernant les nominations ou la juridiction ecclésiastiques. Le clergé français prend ses distances avec Rome, et le Songe du Vergier (1378) – traité anonyme écrit à la demande de Charles V, probablement par un de ses conseillers, Evrart de Trémaugon – s’inspire largement de l’oeuvre politique de Guillaume d’Occam, confirmant l’autonomie du pouvoir royal et son indépendance à l’égard de la papauté et des institutions de l’Église126. Face à cette perte de leurs pouvoirs politique et idéologique, les papes tentent de mettre en place un système centralisateur et administratif, augmentant ainsi l’appareil et le nombre de personnes au service de l’État pontifical. Le système mis en place, tout aussi efficace que le système monarchique, entraîne un glissement progressif de la papauté, et ceci principalement dans sa période avignonnaise, vers une forme de machinerie gouvernementale. Absorbés par leurs problèmes de gestion et de justice, les papes perdent le contact avec la base et les aspirations religieuses des fidèles, provoquant une rupture progressive des discussions avec les églises locales. En effet, l’action pastorale est négligée au profit d’une conception administrative de la vie chrétienne, la papauté ne communiquant plus que par les conciles127.

Le Grand Schisme de 1378 stigmatise ce malaise latent qui ne tarde pas à se concrétiser par une crise des institutions pontificales : la rupture entre le pouvoir pontifical et les fidèles, de crise de la papauté, devient crise de la chrétienté. L’Europe est déchirée par les diverses obédiences comme par l’entêtement des diverses factions en présence. Les essais de résolution amiable se soldant par des échecs, le conciliarisme apparaît peu à peu comme l’unique solution. Cependant, tous les souverains n’acceptent pas les décisions prises par le conseil oecuménique, et la désintégration atteint son point d’orgue avec la tricéphalité de la chrétienté. C’est seulement en 1417 que le conflit trouvera sa solution

La papauté sort diminuée du conflit et se replie sur Rome, abandonnant la gestion des fidèles aux églises locales et aux évèques qui ne manquent pas de s’organiser en accord avec les pouvoirs séculiers, ces derniers profitant de cette perte d’équilibre des forces politiques et spirituelles en leur faveur. Cependant, la crise n’est que repoussée dans la mesure où la Papauté, devenue un État parmi tant d’autres, persiste cependant à adopter un fonctionnement souverain, attitude qui ne manquera pas d’entraîner des troubles.

Notes
126.

N’oublions pas que Charles V se fait traduire La cité de Dieu.

127.

Issus des mêmes écoles et des mêmes traditions, les intellectuels, spécialistes du droit civil, qui organisent l’État médiéval sont les mêmes que les spécialistes du droit canon qui régissent la chrétienté.