6. 2. La standardisation

La reconnaissance d’une grammaticalité aux langues vulgaires représente un enjeu de taille : elle équivaut au rehaussement de leur statut à celui de langue de culture et les place sur un pied d’égalité avec le latin. Mais elle signifie également que le fossé entre les langues se comble, autorisant un rapprochement que Dante s’était refusé à accepter159. Leonardo Bruni lui reste fidèle et estime que l’abîme entre le latin et les langues vulgaires, en l’absence de réelle grammaticalisation de ces dernières, demeure ; en revanche, dans son De verbis Romanae locutionis (1435), Flavio Biondo élabore une hypothèse de transformation par corruption qui lui permet de noter que cette altération n’a pas effacé toute trace de structure dans les langues (marques de temps, de cas et de modes).

Il apparaît dès lors clairement que l’instauration d’une langue scripturaire commune ne peut se faire sans le passage obligé de la fixation et de la normalisation : l’instigation des langues stato-nationales est le fruit du travail conjoint des traducteurs, qui décalquent le latin, des grammairiens qui fixent le moule de la langue, et des écrivains qui imitent le modèle antique, ou en créent un autre, idiosyncrasique.

Notes
159.

Dans De vulgari eloquentia (I, 1), il différencie les langues vulgaires, apprises par imitation et sans aucune règle, et le latin, appelé grammatica par les Romains.