6. 3. La recherche d’une nouvelle norme

Ainsi, à la mort de Laurent le Magnifique (1492), se pose le problème de la domination culturelle et politique de Florence, et par la même, celui de la voie choisie pour la codification de la langue italienne. Doit-on adopter le dialecte toscan codifié par les trécentistes, le dialecte toscan du moment (plus évolué au 16e siècle), ou encore la langue véhiculaire des cours italiennes ? Entre 1500 et 1530, le débat sur la langue italienne fait rage ; les défenseurs du florentin archaïsant du trecento s’opposent aux progressistes partisans de la langue de cours, qui prônent la diffusion de la langue en usage dans les principales cours du pays (cf. Danielle Trudeau (1992 : 47-49)). Les hommes de lettres et de pouvoir s’affrontent : Pietro Bembo défend le dialecte toscan archaïque en raison des références littéraires qu’il véhicule, Machiavel et les membres de l’académie florentine plaident pour le toscan contemporain166, démontrant que les oeuvres italiennes classiques, dont celles de Dante, ont été écrites en florentin, et qu’il y aurait abus à parler de langue italienne. La nécessaire réforme de l’italien doit prendre appui sur le seul florentin, dans la mesure où il n’y a pas de langue artificielle possible. L’auteur du Prince pense qu’il faut travailler sur la langue naturelle, s’opposant sur ce point à Trissin et Castiglione, partisans de la langue curiale. Dans Il cortegiano (1524), ce dernier, qui se réclame également de Dante, veut unifier les différents dialectes dans une langue commune élevée, affranchie des contraintes sociolinguistiques et admettant les dialectismes. Tant que cet idéal ne sera pas atteint, le toscan restera la langue commune. Ce débat, qui concerne plus la langue littéraire que la langue parlée, ne conduira pas à une unification linguistique, mais donnera naissance à la notion d’usage, qui, d’Italie, se diffusera en France et en Espagne. Si dans la péninsule italienne, c’est l’usage courtisan que nombre d’auteurs préconisent, l’espagnol Pedro de Navarra (dans ses Diálogos de la differencia del hablar al escrivir (1590)) et nombre de grammairiens critiquent sévèrement celui-ci. Comme Louis Meigret, ils lui préfèrent l’usage savant. En 1572, Ramus, se référant à Platon, Cicéron, Aristote et Varron, propose une troisième norme et recommande le parler du peuple.

Notes
166.

Dans son Discorso o Dialogo intorno alla nostra lingua (1514), Machiavel traite de ce problème. Danielle Trudeau en donne un extrait intitulé Dialogue imaginaire de l’auteur avec Dante : Machiavel réfute l’existence d’une langue courtisane :

N. Que veut dire « curiale » ?

D. Cela veut dire une langue parlée par les hommes de la cour du Pape, du duc, lesquels, étant cultivés, parlent mieux que l’on parle en aucune région d’Italie (in Trudeau, 1992 : 208).