9. 3. Langues, nation et connaissance

L’abandon du latin comme langue de rédaction réduit les échanges, comme l’explique Condorcet un siècle plus tard (cf. supra, 8. 1. 3.) :

‘L’usage exclusif d’écrire en latin sur les sciences, la philosophie, sur la jurisprudence, et presque sur l’histoire, céda peu à peu la place à celui d’employer la langue usuelle de chaque pays ; Et c’est ici le moyen d’examiner quelle fut, sur le progrès de l’esprit humain, l’influence de ce changement, qui rendit les sciences plus populaires, mais en diminuant pour les savants la facilité d’en suivre la marche générale ; qui fit qu’un livre était lu dans un même pays par plus d’hommes faiblement instruits, et qu’il l’était moins en Europe par des hommes éclairés ; qui dispense de l’étude de la langue latine un grand nombre d’hommes avides de s’instruire, et n’ayant ni le temps, ni les moyens d’atteindre à une instruction étendue et appropriée, mais qui force les savants à apprendre un plus grand nombre de langues différentes (Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain ; 1795 : 206).’

Les solutions proposées pour pallier une carence qui commence à apparaître empruntent deux directions : l’adaptation du latin à la réalité contemporaine (propositions de simplification du latin du Père Labbé dans sa Grammatica linguae universalis (1660) ; transformation de son enseignement en le rattachant à des réalités concrètes plutôt qu’à des concepts métaphysiques par Comenius) ou la recherche d’une langue pouvant le remplacer dans son rôle de langue véhiculaire.

Cependant, il n’est pas question de construire une seconde langue latine. Les grandes explorations fourniront une nouvelle source d’inspiration aux penseurs à la recherche d’une langue véhiculaire de substitution. Si elles mettent en évidence la difficulté de communiquer avec des peuples parlant des idiomes extrêmement éloignés des langues européennes, elles portent également à la connaissance des Européens un type de caractère totalement inconnus d’eux : le chinois. Les idéogrammes impressionnent fortement les philosophes et suscitent nombre d’hypothèses sémiotiques (cf. Salmon (1992 : 408)).

Les propositions de nouvelles langues véhiculaires empruntent alors deux options divergentes : les élites francophiles adoptent le français comme vecteur de diffusion des idées cosmopolites, mais certaines réactions protectionnistes issues notamment des pays dont l’unification n’a pas encore vu le jour penchent plutôt pour l’adoption d’une langue universelle créée de toutes pièces307.

Notes
307.

L’Angleterre, anti-française, sera très active dans la recherche des langues universelles. Ceci s’explique également par le fait que les anglais maîtrisent mal le latin oral.