11. 2 . 3. Structure, forme et système

Le passage de l’histoire naturelle à la biologie est celui de l’épistémè taxinomique à l’épistémè axiomatique, de l’identité entre les éléments à l’identité du rapport entre les éléments – i.e. la fonction assurée par les éléments à l’intérieur du système. Est alors mise en évidence la différenciation entre l’analogie et l’homologie, entre l’identité fonctionnelle et les similitudes structurelles417.

Le terme d’homologie est emprunté en 1822 par le mathématicien Poncelet au grec ‘ομολογια. Dans son Traité des propriétés projectives des figures, celui-ci étudie les propriétés des figures demeurant invariantes par perspective. Geoffroy Saint-Hilaire note en 1824 (in Composition de la tête osseuse de l’homme et des animaux) que les Naturphilosopher allemands utilisent ce terme pour dénoter l’identité que présentent certaines parties d’un même être (par exemple la vertèbre, qui est identique à elle-même). Il adopte le terme et le définit comme un principe commun de formation, une tendance à se reproduire à l’identique. En 1848, l’anatomiste et paléontologue anglais Richard Owen élargit la définition de l’homologie à l’identité des organes de différents animaux, quelles que soient la forme et la fonction des dits organes (comme par exemple la vessie natatoire qui permet aux poissons de flotter et le poumon des oiseaux, qui leur permet de respirer comme d’alléger leur organisme ; ces deux organes ont la même origine, mais ont une fonction différente). Par la suite, l’homologie est définie comme une correspondance d’organes en raison de leur origine embryogénétique et de leur situation relativement à l’ensemble du corps (cf. Vocabulaire technique et critique de la philosophie, article « Homologie »).

Cette conception de l’homologie correspond pleinement à la définition géométrique, dans laquelle l’homologie est la correspondance des points et droites de deux figures semblables. Cette définition est l’application abstraite de la définition cristallographique de l’homologie : « Se dit des éléments de même nature des cristaux de même forme » (PR) (à propos des faces et des arêtes des cristaux de même forme).

La chimie organique adopte le terme en 1844 (Charles Gerhardt) pour désigner la communauté de structure moléculaire de corps pourtant différents (par exemple : CH4 (méthane), C2H6 (éthane), C3H8 (propane) ; ces trois gaz ont une structure moléculaire qui peut être formulée CnH2n+2). Ces corps, rassemblés en série (dans l’exemple précédent, il s’agit de la série des hydrocarbures) et classés par ordre croissant d’atomes, constituent une suite dans laquelle on constate la répétition de la structure de base.

On peut donc définir quatre domaines d’inclusion au sémème homologie :

Ces sémèmes regroupés en un taxème, se définissent différenciellement comme suit :

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La lecture de ce tableau fait ressortir deux points. Tout d’abord, on constate que bien qu’appartenant à des domaines différents, homologue 1 et homologue 3 possèdent même structuration sémique ; le domaine prend donc en charge la différenciation entre ces deux sémèmes. D’autre part, homologue 2 est le seul élément ne se définissant ni par ses connexions, ni par sa nature, mais par sa structure, sème inhérent qu’il partage avec homologue 4. Les sèmes /même connexions/ et /même nature/ sont donc spécifiques à homologue 1, homologue 3 et homologue 4. On peut en déduire que le sémème homologue 2 ne se définit pas par rapport à un réseau. Deux explications sont possibles : ou l’homologue n’est pas compris dans un réseau, ou la définition de l’homologue n’implique pas de définition réticulaire. Cette ambiguïté trouve sa solution au niveau des dimensions.

Les homologues 1, 3 et 4, caractérisés par le sème /mêmes connexions/, sont définis par le sème macrogénérique //-totalité//, contrairement à homologue 3, qui est défini par le sème macrogénérique //+totalité//. D’autre part, ce sont les corps homologues qui permettent de définir l’existence d’une homologie chimique. Ils possèdent donc le sème macrogénérique //+agent//. En revanche, c’est la relation d’homologie qui définit les homologues mathématiques, minéraux et animaux. Ils sont donc marqués par le sème macrogénérique //-agent// :

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La combinaison de ces deux dimensions fait émerger la notion de structure, comme l’indique la définition du Vocabulaire technique et critique de la philosophie :

STRUCTURE : A. Disposition des parties qui forment un tout (...)

B. (...) s’emploie au contraire pour désigner, par opposition à une simple combinaison d’éléments, un tout formé de phénomènes solidaires, tels que chacun dépend des autres et ne peut être ce qu’il est que dans et par sa relation avec eux.

Dans la définition A, la structure est liée à une position. c’est le cas des homologues 1, 2 et 4. Cette définition ensembliste (c’est-à-dire à laquelle appartient l’homologue) entre pleinement en compte dans la définition des homologues mathématiques, minéraux et animaux (les figures, les cristaux et les organismes). En ce qui concerne les homologues organiques, la structure est identitaire, au sens où elle détermine l’appartenance à la série homologue. Celle-ci définit la structure des corps la constituant, et permet de déterminer leur formule brute. En effet, le chimiste français Charles Gerhardt établit en 1844 une classification sériaire, qu’il compare à un jeu de cartes disposé par couleur et par figure, et qui permet de prédire les termes manquants de la série418  :

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Désormais, les objets étudiés sont envisagés en fonction de leur place au sein de la structure, et non de leur fonction au sein de celle-ci (opposition anatomique homologie/analogie), ou en fonction de leur structure (ou forme), et non de leur matière, comme l’indique le tableau des sèmes spécifiques ci-dessus : les homologues organiques sont en relation malgré leur différence de nature (l’éthane et le méthane par exemple). Les homologues animaux sont corrélés grâce à une communauté de structure, de nature et de place au sein de l’organisme, et non en raison de leur rôle au sein de celui-ci. La notion d’homologie fait donc émerger deux concepts majeurs pour la science du 19e siècle : celui de structure, puis, découlant de celui-ci, celui de forme.

Ainsi, Geoffroy Saint-Hilaire fils montre en 1847 que certains organes peuvent avoir plusieurs fonctions et qu’une fonction peut être remplie par plusieurs organes, rendant ainsi caduque l’organologie :

‘Jamais la biologie ne fut plus proche de la minéralogie, de la chimie, voire de la physique : toutes également particulaires et réticulaires. Et les animaux ne varient plus que par la manière d’arranger et de regrouper les unités primitives (Dagognet, 1970 : 99). ’

En effet, la chimie fait des constatations similaires : les allemands Justus von Liebig et Friedrich Woehler, puis le suédois Jöns Jacob Berzelius (qui lui donne son nom en 1831) contribuent à la formation de la notion d’isomérie, définie par le Petit Robert comme le caractère des corps « ayant la même formule brute et des propriétés différentes dues à un agencement différent des atomes dans la molécule ». La nature des isomères ne dépend donc pas de leurs constituants, mais de la disposition de ceux-ci. Désormais, les substances sont définies structurellement419 : la nature de l’ensemble dépend de l’arrangement des parties (ainsi l’éthanol (CH3—CH2OH) et l’éther diméthylique (CH3—O—CH3) ont tous les deux C2H6O comme formule brute).

Le terme isomère (J. J. Berzelius, 1830) est une adaptation du grec ισομερης « qui a une part égale » ou, en d’autres termes « qui est composé des mêmes parties » (ισ(ο)- « égal », μερος « parties »). Dans le domaine //substance//, -mère porte le sème /formule moléculaire/. En 1831, Berzelius crée les termes polymère et métamère, qui s’interprètent par rapport à isomère : le polymère est un isomère multiple  (πολυς « nombreux») et les métamère sont des isomères possédant les mêmes propriétés (en chimie, méta- sert à nommer les corps proches par ses propriétés du corps dont le nom suit ; de μετα « après, à la suite de », interprété comme « proche »). Il s’agit en fait d’une forme de mots-valises dont les formes °poly(iso)mère et °méta(iso)mère, ont été condensées. La base -mère représente isomérie (cf. infra, 12. 3. 1.) et intègre donc le sème /même/ dans son sémantème, et qui, en tant que tel, est afférent. Il s’agit donc d’une différence d’acception puisqu’il y a une différence de sème afférent :

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Le sème afférent /même/ est actualisé par le trait /langue chimique/.

En revanche, c’est le préfixe is(o)-, tiré de isomère par Liebig, qui représente l’isomérie dans les noms des corps isomères : l’isomère de l’acide éthionique (H. G. Magnus, 1833) est l’acide iséthionique (J. Liebig, 1835). La fonction de représentation de isomère par rapport à l’emploi préfixal est analysable en termes de différence d’emploi par adjonction d’un sème afférent déterminé par le sème /langue chimique/ ; l’opposition entre les deux emplois est celle de la généralité à celle de la spécification de l’égalité (égalité vs égalité de formule brute).

Il y a donc deux sémèmes portant le sème /isomère/. L’un au niveau générique, qui qualifie le rapport entre les formules moléculaires (les polymères contiennent la même formule moléculaire reproduite plusieurs fois, les métamères ont les mêmes formules moléculaires et les mêmes propriétés), et l’autre au niveau spécifique, qui qualifie les rapports entre les substances :

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Le choix du préfixe pour représenter l’isomérie au niveau spécifique alors que la base possède déjà cette fonction au niveau générique (une formation du type °mèréthionique est tout à fait envisageable) s’explique donc par le fait que la notion prégnante et privilégiée est la notion d’égalité (des constituants) : l’acide ithionique et l’acide iséthionique sont composés des mêmes éléments présents dans les mêmes proportions. Iso- et -mère, dans leur fonction de représentation de isomère s’opposent par leur acception  :

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Le sème afférent /formule moléculaire/ est actualisé par le sème /générique/ socialement normé.

La découverte de l’isomérie oriente définitivement la chimie organique. En effet, les corps organiques contiennent toujours du carbone, presque toujours de l’hydrogène, très souvent de l’oxygène, souvent de l’azote et parfois du soufre. En conséquence, les compositions moléculaires sont souvent les mêmes : c’est donc dans l’arrangement de la molécule qu’il faut rechercher la cause de la différence entre les substances.

En 1834, le chimiste français Jean-Baptiste Dumas découvre que l’action du chlore sur l’acide acétique fournit un corps qui garde toutes les propriétés acides de l’acide acétique, et ne diffère que par la substitution de trois atomes de chlore à trois atomes d’hydrogène :

CH 3CO2H (acide acétique) —> CCl 3CO2H (acide trichloracétique)

Le chimiste Auguste Laurent reprend la théorie de son maître Dumas et montre en travaillant sur les cycles aromatiques que l’édifice ne dépend pas des constituants, et peut leur survivre lorsque l’on remplace l’atome enlevé par un atome équivalent. Il prend pour preuve un certain nombre de cristaux dérivés dans lesquels il a substitué un chlore à un hydrogène, et qui ont conservé la même forme ; la fonction chimique des composés est donc subordonnée à l’arrangement géométrique des composants. La chimie organique est en conséquence une chimie plus configurationelle qu’analytique.

Cette expérience ruine la conception additive de la molécule et en impose une conception ensembliste. Émerge donc l’idée que les substances chimiques ne dépendent pas de leurs composantes, mais de leur organisation interne. La forme, fondamentale, transcende les éléments, et met en évidence la conservation des ensembles structuraux420 :

‘J’admets avec tous les chimistes que les propriétés des corps composés dépendent de la nature, du nombre et de l’arrangement des atomes, mais j’admets de plus que l’ordre a souvent plus d’importance que la matière sur ces propriétés (Laurent, Méthode de chimie, 1854 : 389 ; cité par Dagognet, 1969 : 70).’

Fort de ce principe, Laurent recherche à partir de 1836 la charpente fondamentale des hydrocarbures : pour lui, tous les composés organiques dérivent d’un nombre fini de carbures d’hydrogène, dont le caractère originel est décelable dans la permanence du squelette carboné421.

La conception chimique de Laurent repose donc sur deux notions fondamentales : l’invariance des structures – où, en d’autres termes, la forme – et la variation moléculaire, fruit des relations topologiques entre groupes fonctionnels – c’est-à-dire la structure422 :

‘les variations révèlent l’essence. Les corps, surtout les organiques, sont organisés et se rangent dans une organisation. Il faut donc représenter cet ensemble, où chaque élément, à son tour, définit un ensemble (Dagognet ; 1969 : 85).’

Comment ne pas mettre cette approche en relation avec la pensée de Humboldt, qui, conformément à la pensée de Kant, avance le primat de la forme sur la matière ?

Comme le souligne Ernst Cassirer :

‘Selon Kant, la forme est la simple expression d’un rapport, mais précisément parce qu’en dernière analyse tout notre savoir à propos des phénomènes se réduit à la connaissance des rapports dans le temps et l’espace, c’est elle qui, en tant que principe de la connaissance, objective véritablement. C’est l’unité de la forme en tant qu’unité de la liaison des phénomènes qui fonde l’unité des objets de la connaissance (Cassirer, 1972 a : 109).’

La forme humboldtienne est le fruit du travail que le langage impose à cette composition de matériaux sonores et d’impressions sensibles qu’est la matière ; il n’est pas de substance qui ne soit formée à l’intérieur des langues. Les manifestations de la forme sont en corrélation, et constituent ainsi un système unitaire dont chacun des éléments vise au fonctionnement de la puissance formelle. La place à l’intérieur du système donne leur valeur aux marques. Ce principe que Pierre Caussat définit comme « ‘un système d’éléments différentiels, définis par leurs places respectives sur un échiquier commun’ » (Caussat, in Humboldt, Introduction à l’oeuvre sur le kavi et autres essais ; 1974 : 423), Humboldt le nomme analogie. Bertil Malmberg (1991 : 268) insiste sur le principe de structuration et son corollaire, la notion de valeur différentielle, dans l’oeuvre de l’humaniste allemand : il aurait été le premier à mettre l’accent sur la structuration du mot et du vocabulaire (ainsi, la définition du mot ne peut être donnée qu’en contexte)423. Conformément son modèle physiologique, Humboldt envisage la langue comme un tissu dont tous les éléments sont en interactions (cf. supra, 11. 1. 3.) :

‘Le concept d’articulation est fondamental dans le système humboldtien et entre dans un rapport étroit avec celui de forme. L’articulation décrit la structuration du son qui en fait un porteur de la pensée. La forme du langage peut être définie comme articulation (Malmberg, 1991 : 265).’

En voyant dans l’organisme linguistique le point de cristallisation du développement des langues424, il inaugure une linguistique de la structure qui appréhende les langues par le truchement de leur organisation interne.

L’approche structurelle des langues pose les bases de la science du système des langues, la linguistique. Simon Bouquet (1997 : 165) souligne à propos que si le mot système est un terme clé dans les sciences de l’époque – la physique, le mécanique et l’astrophysique – c’est aussi un des éléments clés de la grammaire comparée comme l’indique le titre de l’ouvrage fondateur de Franz Bopp, Ueber das Konjugationssystem. Les langues sont dorénavant appréhendées comme des dispositifs fonctionnels et formels, c’est-à-dire dotés de fonctions et de formes. Les comparatistes – nous avons souligné l’orientation des travaux d’August Schleicher – portent une attention toute particulière au concept de relation, mettant en évidence la structure relationnelle qui redouble la structure représentative du langage. Cette structure relationnelle se traduit, dans les langues flexionnelles, par un système modificateur auquel participent entre autres, les flexions. La perception des mécanismes internes de la langue inversent donc les rapports à la grammaire :

‘à l’âge classique, les langues avaient une grammaire parce qu’elles avaient puissance de représenter ; maintenant elles représentent à partir de cette grammaire (Foucault, 1966 : 250).’

Ainsi on perçoit le rôle des flexions dans l’organisation du lexique (valeur paradigmatique) et de la phrase (fonction syntaxique), comme leur impact sur le radical (modification phonologique).

La première moitié du 19e siècle inaugure une approche nouvelle des objets scientifiques. Ceux-ci ne sont plus étudiés comme des entités mais comme des unités, au sens qualitatif du terme, c’est-à-dire comme des éléments d’un tout, ou comme un tout composé de parties. L’unité est conçue comme un ensemble, et l’ensemble comme une unité. De cette transposition émerge une véritable révolution copernicienne : l’ensemble n’est pas déterminé par les parties, mais les détermine. L’individu est désormais défini par sa place au sein du système auquel il appartient (classification sériaire de Charles Gerhardt, homologie sériaire en anatomie comparée, paradigmatique et syntagmatique linguistiques). Dorénavant la matière n’est plus seule à faire sens : la forme, la place, l’agencement sont également signifiants.

Émergent également l’étude des conditions de cette unité, à savoir les facteurs de cohésion de l’ensemble. Au nom de cette recherche, on met en évidence les liens de la partie au tout, le rôle joué par l’élément dans la totalité dont les parties sont interdépendantes. Cette mise en perspective est génétique (évolutionnisme, linguistique historique), fonctionnelle (constitution de la notion d’analogie, concept mathématique de fonction, rôle de la flexion dans le mot et dans la phrase), ou structurelle (notion de molécule, anatomie comparée, morphologie linguistique).

Ces vues résultent de l’étude des variances et invariances des éléments des ensembles (innovation et maintien de la linguistique historique, variance structurale et invariance des formules brutes de la chimie, hérédité des caractères acquis et tendance la complexification de l’organisme du transformisme).

En ceci, la période positiviste poursuit le travail de la période idéaliste : l’organisme devient structure (morphologique, anatomique), les interactions deviennent fonction, c’est-à-dire qu’à la liaison succède la rection (rection de la matière par la forme, rection de la base par la flexion, rection des propriétés chimiques par la structure moléculaire). La perspective génétique devient évolutionnisme, la réticulation s’articule en structure et la perspective indiciaire se formalise une définition par indexation au sein du système.

L’approche structurelle sonne le glas du règne du principe linnéen qui implique que le même mouvement nomme et identifie. La fin de l’isomorphie entre la nature et la représentation pose le problème de la signification ; en d’autres termes, celle-ci ne peut plus se réduire à la désignation. L’apparition de l’approche fonctionnelle et réticulaire des sciences brise le lien instauré par les naturalistes entre la vision et la reconnaissance. Le vocabulaire de la chimie s’était heurté de longue date à cet écueil : une molécule ne peut être reconnaissable grâce à la vision dans la mesure où elle n’est pas visible. Les chimistes, dont le domaine suppose la prise en compte des combinaisons et réactions, avaient résolu ce problème en utilisant des procédures proches des caractéristiques relationnelles des langues à flexion :

‘Les terminaisons sont les mêmes dans les compositions analogues et le son qu’elles font entendre suffit pour rappeler le genre de composition auxquelles chacune d’elle est appropriée (Fourcroy, Système des connaissances chimiques et de leurs applications aux phénomènes de la nature et de l’art, T. I, 1801 : 104-105 ; cité par Dagognet, 1969 : 51).’

Les analogies phonétiques de Lavoisier sont désormais justifiées scientifiquement, comme est expliquée la dimension sémantique et structurale des affixes. Le 19e siècle renforce donc l’argumentation des théories analytiques en faveur de l’utilisation terminogénique des langues classiques. En effet, cette conception, qui avance la suprématie des langues à flexion – suprématie toute légitime si le critère de hiérarchisation est la condensation de l’information et la capacité indexatoire au sein de l’espace du tableau – est donc une perpétuation des théories analytiques, et il est peu d’évolution depuis Condillac, si ce n’est que les arguments peuvent se targuer d’une validité positive. Les outils de l’« arpentage de la pensée » (Chevalier, 1968 : 708), artefacts plus ou moins grossiers au temps de Lavoisier, sont désormais affutés.

Cependant, il est difficile de ne pas percevoir ces théories, comme une argumentation pro domo. En effet, l’allemand, tout comme le latin et le grec, est une langue à flexion, catégorie considérée comme le point d’aboutissement des constructions linguistiques. Ainsi, la langue allemande est doublement réévaluée : non seulement elle possède un système d’organisation exemplaire, mais elle est l’équivalent des langues classiques. La voie de la linguistique historique habille de nouveaux atours les revendications adamistes (cf. supra, 2e partie, 9. 3. 3.). Celle du comparatisme reprend, par la substitution du critère morphologique au critère syntaxique, les hiérarchisations linguistiques du 17e siècle.

L’argumentation traditionnelle a donc survécu à la révolution comparatiste.

Notes
417.

Les définitions des termes homologie et analogie demeurent floues : pour Geoffroy Saint-Hilaire, deux organes sont analogues quand, dans deux êtres différents, ils ont le même emplacement et les mêmes connexions, bien qu’ils puissent avoir des fonctions différentes ; Cuvier et la plupart des biologistes du 19e siècle lui donnent le sens d’organes ayant la même fonction (qu’ils aient ou non le même caractère anatomique). Il demeure cependant que ces deux phénomènes sont distingués. Owen appellera plus tard homologie, la correspondance des structures, et analogie, la correspondance des fonctions.

418.

Classification mise en évidence par les dénominations des substances : à partir de n = 5, les noms sont construit à partir de formants numéraux (pentane, hexane, heptane, etc.).

419.

En 1858, Archibald Couper pressent le concept de structure chimique, qu’il compare à celui de la structure des mots ; le terme structure sera introduit en chimie en 1861 au sens d’« arrangement et de liaison entre atomes » par A. Butlerow, son disciple.

420.

La vitalité des exogènes savants – dont certains seront empruntés par les mathématiques – construits à partir du formant -morphisme montre l’importance nouvelle accordée à la forme et à ses transformations : isomorphisme (E. Mitscherlich, 1821) qui qualifie le lien entre deux cristaux de même forme, dimorphisme (F. Woehler, 1832) qui traduit la possibilité pour certains sels de cristalliser sous deux systèmes différents, pseudo- et homéomorphisme qui qualifient certains composés dotés d’une composition qui les oppose, alors que leur structure semblerait les rapprocher, hémimorphisme (A. Laurent) et paramorphisme.

421.

François Dagognet (1969 : 70) souligne l’orientation gestaltiste des conceptions laurentiennes ; celles-ci sont en fait caractéristiques de la période : Richard Owen postule un type fondamental ou archétype anatomique (principes d’ostéologie comparée, 1848), les cristallographe classent les cristaux en formes limites.

422.

Ces découvertes, complétées par les travaux de A. Le Bel et J. H. Van’t Hoff en 1874 donneront naissance à la stéréochimie (G. F. J. Auwers et V. Meyer, 1889) ou chimie dans l’espace, dont le but est l’étude de l’organisation, du mode de composition et de la distribution topologique des atomes d’une molécule, en relation avec les propriétés chimiques et optiques de l’ensemble.

423.

Cependant, le principe de structuration du signifié est imputable aux travaux de Dumarsais et Beauzée, comme le souligne Simon Bouquet (1997 : 224-225), qui estime que le Traité des tropes peut être considéré comme le premier ouvrage de sémantique. Cette affirmation oublie malheureusement Locke.

424.

Puis vient la période d’élaboration ultérieure (floraison culturelle et littéraire, développement du caractère des langues). Au nom de ce principe de structuration, il souligne l’achèvement des langues à flexion :

La cohésion de la flexion avec l’unité terminologique va de soi, puisque pour la flexion il s’agit très expressément d’instituer une unité qui est bien autre chose qu’une simple somme (Humboldt, Introduction à l’oeuvre sur le Kavi, 27 ; 1835 : 270).