Chapitre 12
Linguistique et terminogénie

Comme le souligne Simon Bouquet (1997 : 234), la grammaire comparée introduit une approche qui tend à faire disparaître la conception « lexicaliste » du signe linguistique en intégrant au sein de ceux-ci les items grammaticaux comme les flexions ou les désinences ; Humboldt l’a démontré, la langue n’a pas de matérialité hors des sons, ceux-ci lui donnant son extériorité perceptible. En d’autres termes, cela signifie que la pensée ne laissant pas de traces accessibles au sens, le matérialisme de l’entendement apparaît grâce à la grammaire. La manifestation des concepts est une tâche qui est désormais susceptible d’incomber à des entités jugées jusqu’alors non signifiantes :

‘Le suffixe assigne la relation selon laquelle le mot doit être pris ; aussi n’est-il nullement en tant que tel dépourvu de signification. On peut en dire autant de la permutation interne des mots, c’est-à-dire de la forme la plus générale de la flexion (Humboldt, Introduction à l’oeuvre sur le Kavi , 26 ; 1835 : 264).’

Le morphème, perçu comme une unité significative, devient l’unité de base du comparatisme, et possède sa science propre : la morphologie425. Cette matérialisation – que Simon Bouquet (1997 : 232) appelle l’objectivation – du signe, en permettant de dépasser l’opacité de l’entité linguistique, en fait un outil manipulable et exploitable. Le langage ainsi réifié n’en perd pas pour autant son statut de médium des connaissances scientifiques. Selon Michel Foucault (1966 : 309), ces deux faits, loin de s’opposer, se corrèlent en un constant souci d’élaboration d’un langage scientifique débarrassé de ses singularités et de ses impropriétés. L’auteur de Les mots et les choses y voit un des aspects caractéristiques du 19e siècle et un prolongement de la pensée de la fin du siècle des Lumières. Le rêve positif de la terminologie comme miroir de la connaissance, fort de cette nouvelle objectivité de la langue, prolonge l’épistémè idéologique de la science comme une langue bien faite. La langue, après avoir accédé au rang des objets de savoir, devient un objet technique ; ce statut d’outil nouvellement conquis en fait un objet succeptible d’être perfectionné au gré de ses applications spécifiques.

Des théories allemandes du 19e siècle émergent deux points majeurs. La philosophie du langage du courant idéaliste, fortement teintée de romantisme fait percevoir la notion de lexique spécifique. La grammaire comparée fait émerger la notion de motivation partielle, sur le modèle de la paradigmatique flexionnelle.

Notes
425.

Le terme, créé en allemand par Goethe en 1790, dans un sens général et philosophique ; en français, il est le fait de Blainville (1822), Littré le fera entrer dans le domaine linguistique en 1868.