13. 2. 1. La perte de la culture humaniste

Au temps de Lavoisier, le latin est répandu par les congrégations religieuses qui assurent l’enseignement secondaire, mais quelques décennies plus tard, l’enseignement du latin entre dans une phase de décadence. D’une part, sa prééminence sur les langues vivantes est en voie d’amuïssement, et, à la fin du 19e siècle, tous les cours se prodiguent en langue moderne. Ce mouvement est renforcé par l’apparition des manuels, qui suppriment tout recours aux textes originaux des oeuvres de référence, qui justifiaient jusqu’alors l’apprentissage du latin (cf. Anne Rasmussen (1996 : 146)). Lorsque, en 1903, la France émet un décret qui rend facultatif le latin dans la seconde thèse, elle ne fait qu’avaliser une réalité existant dans les facultés de sciences.

Dans Quelques mots sur l’instruction publique en France (1872), Michel Bréal critique la place trop importante accordée au latin dans l’enseignement secondaire. Quant aux méthodes d’enseignement de la langue classique, qui pérennisent la traduction jésuitique (i. e. la pratique de la traduction), elles doivent laisser place à la méthode de Port-Royal (i. e. explicitation du système de la langue). S’inspirant de l’ouvrage de Bréal, le ministre de l’Instruction publique Jules Simon propose aux proviseurs d’accorder plus de place au français. Cette importance nouvelle de la langue scripturaire s’accompagne de la suppression des vers latins et d’une modification de l’étude de la langue : une moindre importance est accordée au thème, comme aux règles de grammaire (cf. Pierre Demarolle (1975 : 453)).

L’enseignement du latin ne passe donc plus par les mêmes pratiques, et la compréhension du système de la langue comme de sa morphologie est préférée à la culture livresque. Les scientifiques n’ont-ils pas d’autres besoins ? Henri Cottez souligne que les savants du 18e et du 19e siècles ‘« étaient pour la plupart de bons philologues parfaitement instruits du système morphologique’ 522 ‘ gréco-latin, ou consultaient les philologues en cas de besoin. ’» (Cottez, 1985 : XV). Selon lui, les nomenclateurs, scientifiques, expérimentateurs connaissaient au moins « ‘dans les traductions et adaptations latines ’» les vocabulaires d’Aristote, Hippocrate, Galien... Les écarts par rapport au système constitueraient des « bavures » (sic) qui en aucune façon ne rendraient compte de la maîtrise des langues classiques par les milieux scientifiques. Pourtant le Rapport sur la nouvelle nomenclature de l’Académie royale des sciences de 1787 ne qualifiait-il pas déjà le grec de « ‘langue ancienne, déjà presque ignorée des savants’  » ? Il est clair que si le latin demeure une langue majoritairement maîtrisée, ce n’est pas le cas du grec.

Notes
522.

C’est moi qui souligne.