Les relations entre villes

En soi, l’idée de départ était simple : je voulais étudier non une ville, mais plusieurs, dans leurs rapports réciproques et leurs relations.

Longtemps ce furent des économistes et des géographes, plus que des historiens, qui allèrent dans une telle direction.

Dans le monde contemporain, la multiplication des voies de communications et la prolifération des relations invisibles ont remis en cause l’unité géographique de chaque ville et ont contraint leurs observateurs à passer des monades à un système urbain. Avec la croissance tentaculaire des capitales et l’absorption progressive des communes limitrophes, il devenait de plus en plus difficile aux spécialistes de la ville contemporaine d’étudier une localité en faisant abstraction des autres 1 . Les géographes ont donc été parmi les premiers à penser les villes en termes de relations. Dès lors que leur regard dépassa le champ clos de la ville pour embrasser le territoire d’une région ou d’un pays, ils se posèrent des questions sur la place relative des villes, sur leur disposition dans l’espace, en un mot, sur leur distribution. Dès la fin du XIXe siècle, Elisée Reclus soulignait par exemple l’existence de lois dans la répartition et la taille des villes en fonction de critères physiques, démographiques, historiques, administratifs et économiques.

« S’il y avait une parfaite uniformité dans le relief et dans les qualités du sol, les villes seraient disposées, pour ainsi dire, de façon presque géométrique. […] La capitale serait située en plein centre du pays, les grandes villes auraient été réparties à égale distance tout autour, espacées rythmiquement entre elles, tout en ayant chacune son propre système planétaire de petites villes […] Même maintenant, dans les pays de vieille civilisation, on peut discerner, sous le désordre apparent, un ordre de distribution spatiale des villes qui a été, à l’évidence, réglé jadis par le pas du voyageur. » 2 .’

La disposition régulière des villes en Europe occidentale, ou la relation inversement proportionnelle entre la taille des agglomérations et leur nombre générèrent des questionnements de part et d’autre du Rhin. Les économistes de l’Ecole de Iéna, dont Johann-Heinrich von Thünen 3 est le ressortissant le plus connu, se penchèrent à leur tour sur la distribution des villes dans l’espace.

Notes
1.

Ce constat a été fait dès la fin du XIXe siècle par les pères de la géographie française. Elisée Reclus note par exemple : « C’est sa croissance même qui permet à la ville moderne d’abandonner son existence solitaire et de tendre à se fondre avec d’autres villes, retrouvant ainsi la relation originelle qui unissait le marché naissant à la campagne dont il était issu. » . Cf. Elisée Reclus, « L’évolution des villes », The Contempory Review (1895)

2.

 E. Reclus, « L’évolution des villes », The Contemporary Review (1895), trad. A. Méjean, J.C. Chamboredon

3.

Johann-Heinrich von Thünen, Die isolierte Stadt in Beziehung auf Landwirtschaft und Naturalökonomie, 1842-1850, Iéna, 1910. Dès 1826, J.-H. von Thünen a montré que, dans un territoire rural centré autour d’une ville-marché, vivant en auto-subsistance, l’ajustement parfait de la demande urbaine et de l’offre agricole génèrent la constitution d’auréoles. Ce modèle auréolaire découle d’un facteur unique, la distance au marché.