Suivre les pas des mendiants

Pour contourner les problèmes de définitions et de seuils, plusieurs médiévistes français, sous l’égide de Jacques Le Goff, adoptèrent un autre marqueur de l’urbanité et de ses degrés : l’implantation des couvents mendiants. Une telle péréquation entre villes et ordres mendiants repose sur une systématisation de l’attitude des prédicateurs. Leur public, la nature de leur apostolat et les nécessités matérielles poussèrent les ordres mendiants vers les villes. Les premiers fondateurs s’établirent dans les cités les plus importantes avant de tourner leurs pas vers les localités intercalaires, les bourgades, pour peu qu’elles répondissent aux besoins de leur politique pastorale. Plusieurs documents du XVe siècle dévoilent des principes d’implantation stratégiques qui tiennent compte du rayonnement de la ville envisagée et de la distance jusqu’au couvent de même ordre le plus proche 37 .

Le « repérage quantitatif et spatial du fait urbain au Moyen Âge » par le biais des ordres mendiants a été salué en son temps comme un outil destiné à faciliter une approche générique et synthétique des villes aux XIIIe-XIVe siècles. Dans les limites du royaume de France en 1330, ce travail a permis d’exhumer un semis urbain de 226 villes en possession d’1 à 4 couvents mendiants.

Cette esquisse d’un semis urbain médiéval a cependant été freinée dans son élan ; elle a trouvé des détracteurs qui, face à la systématisation du marqueur urbain fourni par les ordres mendiants, rappellent le caractère itinérant des prédications franciscaines ou dominicaines et soulignent l’existence d’installations de fortune, moins guidées par la raison que par le hasard. Dans la mesure où la validité de la méthode fut aussi plusieurs fois remise en question à l’échelle régionale 38 , elle trouve un très faible écho au-delà de nos frontières.

Notes
37.

Cf. Jacques Le Goff, « Apostolat mendiant et fait urbain dans la France médiévale », Annales ESC (1968), p. 335-352 et du même, « Ordres mendiants et urbanisation dans la France médiévale », Annales ESC (1970), p. 924-946, ici p. 930-931. Voir aussi l’article critique d’Alain Guerreau, « Analyse factorielle et analyses statistiques classiques : le cas des ordres mendiants », Annales ESC (1981), p. 869-911. Selon une chronique messine du début du XVIe siècle, les ordres mendiants établis dans la ville rappelèrent en 1427 que deux couvents d’un même ordre mendiant devaient être distants de plus de 5 lieues (37,5 km) et deux couvents d’ordres mendiants différents de plus de 140 toises (300m) dans une même ville. Ce raisonnement est finalement très proche des économies de marché soulignées par Christaller.

38.

Cf. Pour le Gers, Françoise Bériac, « Petites villes ou bourgs ? Le cas du Gers », dans Jean-Pierre Poussou et Philippe Loupès (dir.), Les petites villes du Moyen Âge à nos jours, Paris : CNRS, 1987, p. 29-39. Voir aussi Franck Brechon, « Le réseau urbain en Cévennes et Vivarais », dans Noël Coulet et Olivier Guyotjeannin (dir.), La ville au Moyen Âge, tome 1 : Ville et espace, Paris, 1998, p. 265-277