Des villes engagées dans une lutte commune

Les ligues urbaines

Qui ne connaît au moins de nom la Hanse 86 , appellation générique pour plusieurs associations de villes marchandes, à l’image de l’union que les Colonais conclurent en 1281 avec les communautés de Lübeck et de Hambourg (Hansa Alemaniae) ? Ses étapes de construction, ses causes et ses dynamiques sont aujourd’hui élucidées. Mais le véritable statut de la ligue fait toujours débat : était-ce une simple association de marchands 87  ou un véritable édifice intercommunal, pensé et voulu par les gouvernements urbains ?

Dès le XIIIe siècle, les fédérations interurbaines 88 dépassèrent largement les côtes hanséatiques. Elles se multiplièrent, sans qu’eussent existé des liens manifestes entre elles, dans des régions très variées comme la Westphalie, la Basse-Saxe, la Haute-Lusace, la Thuringe, la Wetterau, la Rhénanie supérieure et centrale, l’Alsace, la région de Constance, la Suisse ou l’espace souabe et franconien.

Une forte tradition historique locale a facilité la rédaction de travaux sur les ligues urbaines. Forcément disparate, cette littérature est cependant construite sur un modèle intangible. Jürgen Karl Berns en fournit une illustration dans Propter communem utilitatem. Studien zur Bündnispolitik der westfälischen Städte im Spätmittelalter (Droste, 1991). Dans le cas westphalien, il propose une exploration systématique des formes de ligues, décrit les structures spécifiques de groupement, puis en dépeint le devenir. Harro Blezinger 89 procède de même sur la ligue urbaine souabe entre 1438 et 1445. Après une présentation de l’organisation et du fonctionnement interne de la ligue, vient un exposé chronologique des actions de cette union urbaine. Les travaux les plus récents ajoutent à cela une réflexion sur les fondements des ligues et leurs motivations premières. Ils soulignent en particulier les liens étroits entretenus entre les édits de pays (Landfrieden) et les ligues urbaines 90 .

Mais l’histoire des ligues peine à se renouveler tant pèse sur ces questions le poids de jugements téléologiques ou partisans. Les historiens doivent d’abord se garder d’exalter un fédéralisme bourgeois « éclairé », qui aurait défendu ses libertés dans un monde dominé par les princes 91 . Ils doivent renoncer tout autant à un défaitisme, qui voue d’avance les unions urbaines à l’échec, en raison de leur égoïsme sacré. Qui méconnaît ces obstacles intellectuels, générés par plusieurs siècles de représentations urbaines, ne peut que sourire aujourd’hui des positions de thèse de tous ces travaux, qui, en étudiant les ligues urbaines, cherchent une voie médiane entre dépréciation ou glorification.

« Nous savons aujourd’hui que l’union des villes n’avait pas d’avenir en tant qu’ordre politique, que le succès des Confédérés fut une exception, mais les conseillers d’Ulm, de Nördlingen…ne le savaient pas. […] Comment la chose apparaissait-elle à ces hommes qui s’alliaient, mais ne sortaient guère d’une politique d’auto-conservation ? » 92 .’
Notes
86.

Cf. Philippe Dollinger, La Hanse, Paris : Aubier Montaigne, 1re éd., 1964, 2e éd., 1988 ; H. Wernicke , Die Städtehanse 1280-1418. Genesis, Strukturen, Funktionen, Weimar, 1983 ; Pierre Monnet, « Des villes allemandes au XIIIe siècle », dans Michel Parisse (dir.), L’Allemagne au XIIIe siècle. De la Meuse à l’Oder, Paris : Picard, 1994, p. 161-208, ici p. 196-199 ; Thérèse Robin, L’Allemagne médiévale, Histoire, culture, société, p. 85-87, Paris : Armand Colin, 1998,  p. 85-87

En histoire urbaine et régionale allemande, les recherches sur la Hanse constituent un pôle de recherches spécifique, non relié aux travaux menés sur d’autres ligues urbaines. La littérature sur le sujet est très vaste. Mais l’ouvrage de Philippe Dollinger s’impose toujours. Parmi les dernières réflexions sur le sujet, on peut mentionner l’article de Stuart Jenks, « Friedensvorstellungen der Hanse (1356-1474) », dans Johannes Fried (éd.), Träger und Instrumentarien des Friedens im hohen und späten Mittelalter, Sigmaringen : Thorbecke, 1996,  p. 405-439 

87.

La question reste ouverte. Mais l’historiographie actuelle considère de plus en plus qu’il exista parallèlement des formes de groupements entre marchands et des associations entre communes. Dans quelques cas, les deux types d’associations se fondirent en une seule.

88.

Nous retrouverons ces ligues au fil du développement. Je me contenterai donc simplement ici de donner des références générales et de renvoyer à la bibliographie attenante. Outre Pierre Monnet, op. cit. supra, p. 174-175 et Thérèse Robin, op. cit. supra, voir le bilan et la bibliographie fournis par Eberhard Isenmann, Die deutsche Stadt im Mittelalter…, Stuttgart : Ulmer Verlag, 1988, « Städtebünde », p. 120-130 

89.

Cf. Harro Blezinger, Der schwäbische Städtebund in den Jahren 1438-1445. Mit einer Überblick über seine Entwicklung seit 1389, Stuttgart : W. Kohlhammer Verlag, 1954

90.

Cf. Heinz Angermeier, « Städtebünde und Landfriede im 14. Jahrhundert », Historisches Jahrbuch 76 (1957), p. 34-56 ; Gerhard Pfeiffer, « Die Bedeutung der Einung in Stadt- und Landfrieden », Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte 32 (1969), p. 815-831

91.

Au-delà des ligues, tout rapprochement entre des villes médiévales tombe sous le coup de ces jugements modernes, repris souvent aux historiens des XVIIIe-XIXe siècles. Georg von Below, dans « Bürgerschaften und Fürsten », compte-rendu de Hugo Press, Die Entwicklung des deutschen Städtewesens, vol. 1, Leipzig, 1906, dans Historische Zeitschrift 102 (1909), p. 524-555, considère par exemple que les villes immédiates d’empire aspiraient à l’autonomie, à l’individualité, à leur avantage propre et non à l’intégration dans un tout.

Voir le bilan d’histoire urbaine allemande établi dans Laurence Buchholzer, Identités urbaines et perceptions de la ville en Franconie à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVIe s.), mémoire de D.E.A. de l’E.H.E.S.S., 1995, p. 37-48 et p. 62-70.

La vision dualiste des ligues urbaines, entre fédéralisme éclairé et égoïsme sacré, commence dès la période moderne et est exaltée par les Révolutions de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle. Elle s’est prolongée tout au long du XXe siècle, puisque le caractère et les fonctions des ligues ont fait l’objet d’une lecture marxiste, au même titre que les conflits intra-urbains. Dans cette optique, citons par exemple : K. Czok,  Städtebünde und Zunfkämpfe in Deutschland während des 14. und 15. Jahrhunderts, dissertation Leipzig, 1957 ; du même, « Der schwäbische Städtebund, Ausdruck der Krafentfaltung des deutschen Städtebürgertums in der zweiten Hälfte des 14. Jahrhunderts »,  Jahrbuch für Geschichte des Feudalismus 1 (1977), p. 187-210 et « Zum Charakter der deutschen Städtebünde im 14. und 15. Jahrhundert », Heimatkundliche Blätter 3, Heft 2 (1957), p. 173-179 ; S. Epperlein, « Städtebünde und Feudalgewalten im 13. Jahrhundert. Die Beziehungen der in Bünden und Landfrieden vereinigten Städte zu fürstlichen Gewalten und zum deutschen Königtum », Zeitschrift für Geschichtswissenschaft 20 (1972), p. 695-718 ; H. Schulz, « Städtebünde in der feudalen Gesellschaft », Zeitschrift für Geschichtswissenschaft 22 (1974), p. 557 et s. ; E. Engel, « Städtebünde im Reich von 1226 bis 1314. Eine vergleichende Betrachtung », Hansische Studien III, p. 177-209 ; J. Schildhauer, « Charakter und Funktion der Städtebünde in der feudalen Gesellschaft – vornehmlich auf dem Boden des Reichs », Hansische Studien III, p. 149-170.

92.

Extrait et traduction de l’introduction d’Harro Blezinger, op. cit. supra, note 89