Une égale proximité à l’égard de l’empereur (Reichsnähe) cimenta également l’ensemble composite franconien en un tout cohérent.
C’est à Peter Moraw que reviennent les concepts de proximité ou d’éloignement du souverain (königsnahe ou königsfern). Il en fit un critère de distinction régionale 152 . Longtemps on avait considéré que toutes les parties du territoire impérial recevaient uniformément le discours politique et institutionnel du souverain dans son royaume. Mais une analyse plus fine des rapports entre le roi et ses sujets dans l’empire révèle « diverses individualités régionales », des nuances que le degré de développement interne de chaque pays ne suffit pas à expliquer 153 .
Déjà sous les Staufen, la Franconie comptait parmi les régions qui avaient tissé les liens les plus étroits avec le pouvoir impérial ; elle perpétua cette tradition à l’égard des autres dynasties souveraines. Le pays franconien correspondait par exemple à la zone la plus empruntée par les itinéraires de Louis le Bavarois. Aux temps de Charles IV, sur les quelque 2 700 documents expédiés par la chancellerie entre 1356 et 1365, 38% s’adressaient aux habitants de trois régions proches du roi - la Franconie, le Rhin central et la Souabe 154 - et exprimaient les marques d’intérêt réciproques du souverain et de ces sujets. La Königsnähe franconienne trouvait son expression auprès de chacune des forces de la région. Charles IV pouvait peser sur les nominations épiscopales locales et accorda de nombreux privilèges de protection royale aux monastères demandeurs. Les édits de paix régionaux de la mi XIVe se firent sous son égide et en sa présence. Les Zollern et les Hohenlohe établirent des liens de parenté avec le souverain. Certaines lignées nobiliaires comme les Landgraves de Leuchtenberg tissèrent avec lui des relations étroites de service. Les sujets franconiens ne renâclaient en rien devant la justice du roi et n’hésitaient pas à contourner les Landgerichte pour aller directement au roi et à son Hofgericht. Nuremberg devint la deuxième ville de résidence de Charles derrière Prague avec 10% des séjours pendant son règne et reçut l’élogieux qualificatif de « ville la plus importante et la mieux placée de l’empire » (furnemste und basz gelegiste stadt des reiches).
Cependant, même dispensée dans la région à tous les types de puissances, la proximité royale n’était pas uniforme. Les privilèges que le souverain accordait aux uns pouvaient provoquer un refroidissement des relations avec les autres 155 . La communication impériale se tournait fortement vers les villes, réceptrices d’un tiers des documents issus du pouvoir entre 1350 et 1370.
Au cours du XVe siècle, la dissociation progressive entre la politique du roi et celle de l’Empire, le détachement croissant à l’égard de la personne du souverain, accrurent les disparités locales dans la Königsnähe. Vers 1500, l’écart s’était creusé entre quelques forces franconiennes résolument proches du pouvoir impérial et le reste du territoire. La communication du souverain reflète ces nouvelles disparités. Dans le registre des correspondances de Frédéric III de 1471 à 1475, le margrave Albert Achille de Brandebourg-Ansbach et la ville de Nuremberg figuraient parmi les destinataires les plus fréquents, avec le duc d’Autriche-Tirol et Ulm (entre 50 et 100 mentions chacun). 23 autres puissances franconiennes entretenaient toujours des relations écrites directes avec l’empereur, alors que les correspondants bavarois du souverain se restreignaient à 7 et ceux de Basse-Rhénanie à 6. Mais la plupart des destinataires franconiens ne tenaient désormais qu’un rôle secondaire dans le carnet d’adresses du souverain.
Seule une enquête approfondie sur chaque force franconienne permettrait de dire si cette « proximité impériale » pérennisée sur près de trois siècles fut un point commun et un thème fédérateur des entités locales au-delà de leur diversité. Il reste que la Königsnähe fut revendiquée et recherchée séparément par de nombreux membres de la région. En Franconie, des villes d’empire à la chevalerie, on tenait l’empire et l’empereur pour une condition nécessaire, pour un cadre indispensable à la vie et au bien communs. Le substrat hétérogène franconien avait trouvé là un élément stabilisateur et un facteur de rapprochement, qui n’était pas le seul fait des villes impériales de la région. Cette Reichsnähe fédératrice avait pour corollaire un fort impact du souverain sur tout rapprochement et toute coopération interne à la région. Elle est incontournable pour envisager l’intercommunalité en Franconie.
Peter Moraw, « Reichsstadt, Reich und Königtum im späten Mittelalter », Zeitschrift für Historische Forschung 6 (1979), p. 385-424 ; Peter Moraw, « Franken als königsnahe Landschaft im späten Mittelalter », Blätter für deutsche Landesgeschichte 112 (1976), p. 123-138 ; Ernst Schubert, « Franken als königsnahe Landschaft unter Karl IV », Blätter für deutsche Landesgeschichte 114 (1978), p. 865-890.
La Basse-Rhénanie était indéniablement plus développée économiquement et culturellement que la Franconie à la fin du Moyen Âge. Mais elle reçut moins d’égards royaux que le pays franconien et en prodigua moins à son tour. La même observation vaut au niveau des villes. Cologne était alors en haut du tableau par sa population et sa richesse économique. Mais les souverains des XIVe-XVe siècle entretinrent toujours un commerce plus étroit avec Nuremberg ou Francfort qu’avec Cologne. A l’égard des documents échangés avec l’empereur/roi, Cologne était traitée comme une puissance territoriale moyenne.
Voir Peter Moraw, « Vom Raumgefüge einer spätmittelalterlichen Königsherrschaft : Karl IV im nordalpinen Reich », dans Michael Lindner et alii, Kaiser, Reich und Region…, Berlin : Akademie Verlag, 1997, p. 61-82.
La même proximité à l’égard du souverain vaut pour la Franconie tout au long des règnes de la dynastie luxembourgeoise. Sous Frédéric III, la région resta parmi les « königsnahe », mais ralentit ses échanges avec le souverain. Sur les 5 000 documents expédiés entre 1471 et 1475, le nombre de puissances franconiennes destinataires place la région au troisième rang derrière la Souabe et la Haute-Rhénanie. Cf. Paul-Joachim Heinig, « Der König im Brief. Herrscher und Hof als Thema aktiver und passiver Korrespondenz im Spätmittelalter », dans Heinz-Dieter Heimann (éd.), Kommunikationspraxis und Korrespondenzwesen im Mittelalter und in der Renaissance, Paderborn, Munich, Vienne, Zürich : Schöningh, 1998
Cf. Ludwig Schnurrer, « König Wenzel und die Reichsstadt Rothenburg », Jahrbuch für Landesgeschichte 34/35 (1974/1975), p. 681-720 ; Ludwig Schnurrer, « Rothenburg und das Hochstift Würzburg im Spätmittelalter », Würzburger Diözesan-Geschichtsblätter 37-38 (1975), Würzbourg, p. 485-509. Charles IV attribua des privilèges antagonistes au tribunal de l’évêché de Würzbourg et au Landgericht de Rothenbourg, aggravant ainsi les relations de voisinage entre les deux puissances à la fin du XIVe siècle.