Le semis urbain franconien

Ce qu’indiquent les Ordres mendiants

John Freed 175 , qui étudia l’implantation mendiante dans l’empire au XIIIe siècle, recensa, pour les années 1300, 94 couvents dominicains, plus de 200 franciscains, 74 établissements de dominicaines et 25 couvents de clarisses. Les implantations obéissaient aux règles mises au jour par l’équipe de Jacques Le Goff sur le sol francais. Les premiers établissements mendiants érigés dans l’empire se rencontraient dans des régions déjà urbanisées, surtout en Rhénanie et en Flandre. Les nouvelles fondations accompagnèrent ensuite le développement urbain à l’Est et au Nord. John Freed en conclut « qu’une analyse de l’expansion des ordres dominicain et franciscain en Allemagne au XIIIe siècle est pour une large part l’histoire de l’urbanisation médiévale allemande ». A petite échelle, le critère mendiant paraissait ainsi fonctionner en Allemagne comme marqueur d’urbanité .

Mais, collecté à l’échelle de la Franconie et à ses bordures souabe et palatine, le critère d’urbanité fourni par les couvents mendiants déçoit fortement. Au total, seule une quinzaine de localités est dotée d’un couvent ou plus 176 à la fin du Moyen Âge.

Ce furent les Franciscains qui essaimèrent le plus dans la région et, en plusieurs endroits, leurs établissements, isolés, ne se doublèrent jamais du couvent d’un autre ordre mendiant. Les premières maisons franciscaines apparurent en Franconie dans les années 1220-1225. Elles virent le jour dans les lieux qui allaient finalement cumuler au moins 4 couvents mendiants à la fin du Moyen Âge. Les Franciscains privilégièrent donc d’abord celles que l’on peut considérer comme des villes principales franconiennes au début du XIIIe siècle et qui le restèrent : Würzbourg, Nuremberg, Bamberg. En dehors de ces trois centres, les frères mineurs poursuivirent leur implantation dans des cités d’importance plus moyenne et n’y firent pas forcément des émules 177 . Les établissement franciscains qui se trouvèrent dans des localités dotées finalement d’1 ou 2 couvents mendiants ne furent pas à l’abri du provisoire ou de l’échec. La communauté franciscaine de Windsheim ne recruta que de 1313 à 1350. Le couvent clarisse de Hof vivota et dut faire l’objet de plusieurs réformes pour rester ouvert.

Quant aux couvents dominicains franconiens, ils répondent aux constatations habituellement formulées sur les logiques d’implantation de l’ordre prêcheur. Ils étaient fondés dans les localités qui comptaient déjà d’autres couvents mendiants et qui disposaient d’une forte présence religieuse comme Würzbourg, Nuremberg ou Bamberg (dans l’ordre chronologique des fondations). Eichstätt constituait une exception régionale. Aucun autre établissement mendiant ne s’était enraciné dans la ville avant l’arrivée des Dominicains, mais les frères prêcheurs pouvaient compter sur un recrutement de haute volée et espérer fonder un centre d’études important dans cette ville épiscopale dotée de plusieurs établissements réguliers traditionnels et d’un centre de pèlerinage ancien. Le couvent qu’ils installèrent à Eichstätt entre 1271 et 1275 rayonna au reste sur toute la région au travers de son école. 8 chapitres provinciaux de l’ordre se tinrent dans ses murs au bas Moyen Âge.

Les couvents des dominicaines ne modifièrent pas les règles habituelles d’implantation, en s’établissant dans les mêmes villes que leurs homologues masculins. Parmi les exceptions à la règle, l’installation de dominicaines à Rothenbourg paraissait sans doute viabilisée par la présence de l’ordre teutonique et la situation de la ville sur une route de pèlerinage. Mais une tentative similaire menée à Wissembourg se traduisit par un échec entériné dès la fin du XIVe siècle. Seul un établissement carmélite plus tardif trouva là une certaine prospérité.

La carte des établissements mendiants en Franconie et Haut-Palatinat à la fin du Moyen Âge confirme finalement l’urbanité très marquée de certains centres, les sièges épiscopaux de Würzbourg, Bamberg et Eichstätt, la ville impériale de Nuremberg 178 . À un degré moindre se démarquaient Rothenbourg, Hof, Königsberg, Wissembourg et Windsheim, puis, un stade en dessous, Amberg, Münnerstadt, Coburg, Schweinfurt, Dinkelsbühl, Neustadt am Saale et Neustadt am Aisch. Cependant même dans des villes du deuxième groupe, qui présentaient d’autres critères d’urbanité indéniables dès le XIIIe siècle, les établissements franciscains ou dominicains n’eurent pas toujours une implantation durable. Inversement le couvent des dominicaines d’Engelthal ou l’établissement franciscain de Moeningerberg restèrent des implantations mendiantes hors de tout milieu urbain. Des villes ou des bourgades s’épanouirent par contre en plusieurs lieux où l’ordre teutonique avait établi une commanderie 179 . Mergentheim, Eschenbach ou Ellingen en fournissent la preuve. En tout état de cause, le semis de localités mis au jour par les couvents mendiants est loin de refléter la densité et l’abondance des fondations urbaines orchestrées dans la région, qu’elles réussirent ou qu’elles échouèrent par la suite 180 .

Notes
175.

L’ouvrage est utilisé par Michel Parisse, dans Michel Parisse (dir.), L’Allemagne au XIIIe siècle. De la Meuse à l’Oder, Paris : Picard, 1994, p. 86 et s. ; John B. Freed, The friars and German Society in the thirteenth century, Cambridge, 1977

176.

Cette étude a été menée sur la base du Bayerisches Städtebuch, Erich Keyser (éd.), Teil Franken, 1971 et de la carte des établissements religieux fournie par Max Spindler (dir.), Bayerisches Geschichtsatlas, Munich, 1969

177.

Au même titre, des établissements de carmélites fondés pour la plupart au XIVe siècle s’implantèrent en pionniers dans quelques localités, mais restèrent isolés.

178.

Voir carte en annexe

179.

L’ordre teutonique s’installa sur le sol allemand avec un hôpital principal à Nuremberg avant 1209. Jusqu’en 1275, il érigea 5 grands couvents et 5 de plus petite envergure. 11 autres maisons de l’ordre s’y joignirent avant 1330. Ces établissements profitèrent de nombreux dons, surtout issus de biens et de fiefs impériaux, complétés au XIVe siècle par une politique d’acquisition. L’appui que les maîtres de l’ordre offrirent à Louis le Bavarois et Charles IV fut payé en retour par un soutien de leur politique urbaine. Ils fondèrent 7 centres territoriaux dotés des droits urbains ou du statut de bourgade et de droits de justice, à l’image de Mergentheim. Ellingen était le siège régional de l’ordre (Landkomtur). Cf. H.H. Hofmann, Der Staat des Deutschmeisters. Studien zu einer Geschichte des Deutschen Ordens im Heiligen Römischen Reich Deutscher Nation, 1964, (Studien zur bayerischen Verfassungs- und Sozialgeschichte III)

180.

Cela confirme donc les nuances apportées au critère d’urbanité fourni par les couvents mendiants. Cf. A. Guerreau, « Analyse factorielle et analyses statistiques classiques : le cas des ordres mendiants dans la France médiévale », Annales ESC (1981), p. 869 et s. ; Voir aussi Monique Zerner, Le cadastre, le pouvoir et la terre : le Comtat Venaissin pontifical au début du XV e siècle, Rome, 1993