Les espérances déçues du Gemeinen Pfennig

Lors de la diète impériale de Worms en 1495, les états donnèrent leur accord à la perception d’un impôt impérial, le « Gemeinen Pfennig » destiné à couvrir les besoins militaires de la guerre contre les Turcs et des expéditions contre Charles VIII de France en Italie.

Pour une fois, tous les états étaient conviés, selon les mêmes règles, à participer aux charges de l’empire, alors que traditionnellement celles-ci pesaient davantage sur les villes libres et impériales que sur les princes, les clercs et leurs territoires. Les villes de l’empire participèrent même aux négociations par le biais des représentants de Strasbourg et d’Augsbourg 205 .

Sur le papier, l’application du Gemeinen Pfennig à tout l’empire et tous les membres impériaux promet donc un aperçu d’ensemble sur les contributions urbaines franconiennes. Puisque chaque état franconien devait participer à l’effort impérial, peut-être peut-on espérer aussi des renseignements comparatifs sur les contributions fiscales des villes seigneuriales intégrées aux territoires payeurs ?

Le Gemeinen Pfennig 206 devait être perçu dans l’empire sur toute personne de plus de 15 ans. Au sein de chaque foyer, tous les membres possédant moins de 500 florins de biens devaient la capitation de base fixée à 10 ½ pfennig (1/24 de florin ; 1 florin = 252 pfennig). Au-delà d’un tel capital, l’impôt évoluait par paliers selon les fortunes détenues. Il prenait en compte non seulement les biens, mais encore les revenus des rentes. Pour un bien de 500 florins rhénans, l’impôt s’élevait à ½ florin, soit 126 pfennig. Pour un capital de 1 000 florins, le Gemeinen Pfennig atteignait 1 florin. Pour les catégories les plus basses, le recours à la capitation était donc systématique, tandis que les plus grosses fortunes procédaient à une auto-évaluation.

Mais le Gemeinen Pfennig ne répondit pas plus aux attentes du souverain qu’il ne satisfait les espoirs des historiens. Les atermoiements dans les paiements durèrent deux ans. Une majorité de villes craignait de voir ses prestations fiscales étalées sur la place publique et d’être taxée plus que les autres états. Les villes libres et impériales réclamèrent et obtinrent une participation de leurs conseils à la perception en lieu et place de la perception par les curés prévue au départ. Les princes, nobles et clercs refusaient quant à eux de créer un précédent préjudiciable à leurs privilèges en versant l’impôt selon une règle générale. Chacun campait sur ses positions en attendant qu’un autre état se décidât à payer. De nombreux territoires princiers et membres de l’empire trouvèrent des échappatoires à l’impôt et ne versèrent jamais la totalité des sommes théoriquement dues.

Une partie seulement des listes sur la perception du Gemeinen Pfennig a été conservée en Franconie pour les différents états franconiens 207 . La loyauté impériale de la Franconie (Königsnähe) s’exprima cependant au travers d’un versement honorable, acquitté entre juillet 1497 et avril 1498, auprès du trésorier impérial à Francfort 208 . Les seigneurs ecclésiastiques (évêques de Würzbourg, de Bamberg, d’Eichstätt, ordre teutonique) avaient répondu à la demande du souverain, de même que les margraves de Brandebourg. Mais appliqua-t-on strictement dans chaque principauté les mêmes règles d’établissement de l’impôt ? Peut-on vraiment y trouver une image des capacités fiscales des villes contribuables ? 209

Pour les villes impériales, la liste des contributions franconiennes au Gemeinen Pfennig ne contredit pas les hiérarchies fondées sur l’impôt urbain. Nuremberg se détache du groupe avec un montant cinq fois supérieur au deuxième montant fiscal versé par Rothenbourg et 35 fois supérieur à la dernière contribution acquittée par Wissembourg. Rothenbourg occupe un confortable deuxième rang et distance Dinkelsbühl, tandis que Schweinfurt et Windsheim semblent avoir permuté leurs places traditionnelles au profit de la première ville.

En admettant que le Gemeinen Pfennig ait été prélevé à Eichstätt dans le respect des modalités fixées, la ville épiscopale d’Eichstätt, au travers de son nombre d’habitants et de leur richesse, s’approche du niveau fiscal des plus petites villes d’empire franconiennes, Windsheim et Wissembourg.

Tableau 2 : Contributions au Gemeinen Pfennig en 1497 :
Villes Contribution
Ville impériale de Nuremberg 210 2 326 fl. 1 lb. 17 d.
Ville impériale de Rothenbourg 419 fl. 3 lb. 21 d.
Ville impériale de Dinkelsbühl 263 fl. 7 lb. 21 d. 1 hlr.
Ville impériale de Schweinfurt 199 fl. 18 Albus
Ville impériale de Windsheim 118,5 fl.
Ville épiscopale d’Eichstätt 211 110 fl.
Ville impériale de Wissembourg 69 ½ fl. 56 d.

Notes
205.

Cf. RTA mittlere Reihe, vol. 5, p. 545 et s.

206.

Cf. Peter Schmid, Der Gemeine Pfennig von 1495. Vorgeschichte und Entstehung, verfassungsgeschichtliche, politische und finanzielle Bedeutung, Göttingen, 1989

207.

Mais seuls les registres de la principauté Brandeburg-Ansbach-Kulmbach et de Nuremberg ont été édités. Voir Gerhard Rechter (éd.), Das Reichssteuerregister von 1497 des Fürstentums Brandenburg-Ansbach-Kulmbach unterhalb Gebürgs, Nuremberg, 1985, (Quellen und Forschungen zur Fränkischen Familiengeschichte 1) et Gerhard Rechter (éd.), Das Reichssteuerregister von 1497 des Fürstentums Brandenburg-Ansbach-Kulmbach oberhalb Gebürgs, Nuremberg, 1988, (Quellen und Forschungen zur Fränkischen Familiengeschichte 2). Pour Nuremberg, Peter Fleischmann (éd.), Das Reichssteuerregister von 1497 der Reichsstadt Nürnberg und der Reichspflege Weissenburg, Nuremberg, 1993, (Quellen und Forschungen zur Fränkischen Familiengeschichte 4).

Il reste à éditer les registres de l’évêché d’Eichstätt et de la Ballei franconienne de l’ordre teutonique.

208.

Voir Peter Schmid, Der Gemeine Pfennig von 1495. Vorgeschichte und Entstehung, verfassungsgeschichtliche, politische und finanzielle Bedeutung, Göttingen, 1989, p. 310-311 et Peter Fleischmann (éd.), Das Reichssteuerregister von 1497 der Reichsstadt Nürnberg und der Reichspflege Weissenburg, Nuremberg, 1993, (Quellen und Forschungen zur Fränkischen Familiengeschichte 4), p. XIV, 310 et s. Les archives correspondantes sont à Nuremberg : Cf. StAN, Rst Nürnberg 7-farbiges Alphabet, Urkunden 3705.

L’évêque de Würzbourg versa 2 878 florins, la principauté d’Ansbach-Kulmbach 2 850 fl., l’évêque de Bamberg 1 305 fl., l’évêque d’Eichstätt 989 fl. et l’ordre teutonique 763 fl.

209.

Le principe de l’auto-imposition prévalait. « Les princes, ecclésiastiques ou laïques, les prélats et les comtes, les barons et les communes doivent chacun selon son état et existence faire plus que les autres en la matière comme il se doit ». L’ensemble des villes impériales semble avoir été plus prompt à payer que les autres états. Les villes avaient un certain intérêt à valider cet impôt qui pesait en théorie sur tous les états de façon relativement égale. Le corps des villes livra à l’empereur une contribution totale de 15 807 florins. Les villes franconiennes à elles seules (sans Dinkelsbühl, ni les Juifs de Nuremberg) apportèrent 20% du total, ce qui ne reflète pas leur force fiscale, mais leur plus forte propension que d’autres à répondre aux demandes du roi, Königsnähe oblige.

Pour voir, concrètement, comment le Gemeinen Pfennig fut mis en œuvre à Nuremberg, voir les remarques de Peter Fleischmann, Das Reichssteuerregister von 1497 der Reichsstadt Nürnberg und der Reichspflege Weissenburg, Nuremberg, 1993, (Quellen und Forschungen zur Fränkischen Familiengeschichte 4).

210.

A cela s’ajoutent les 142 fl. versés par les juifs de Nuremberg.

211.

Cf. Helmut Flachenecker, « Der Typus der fränkischen Reichsstadt. Weissenburg und Eichstätt in Vergleich », Villa Nostra. Weissenburger Blätter für Geschichte, Heimatkunde und Kultur von Stadt und Weissenburger Land  2 (1992), p. 5-17 ; d’après l’auteur, la ville d’Eichstätt payait à son seigneur-évêque un impôt municipal annuel de 500 livres heller à partir de 1389. Ce qui place Eichstätt, à la fin du XIVe siècle, juste devant Rothenbourg si tant est que l’on puisse comparer l’impôt urbain seigneurial et l’impôt urbain royal versé par les villes d’empire. Eichstätt versa aussi à son seigneur un impôt particulier qui devait aider l’évêque à assumer les frais de l’institution de paix franconienne : 600 fl en 1411, 1423, 1441, 1470, 1500. Voir Helmut Flachenecker, Eine geistliche Stadt. Eichstätt vom 13. bis zum 16. Jahrhundert, Ratisbonne, 1988 ; du même, « Bischofsstadt und Reichsstadt. Ein Vergleich », dans R.A. Müller (éd.), Reichsstädte in Franken, vol. 1, Munich, 1987, p. 255 et s.