De l’utilité des Briefbücher

En soi, le but des Briefbücher coule de source. Il s’agit de garder trace de ce dont le conseil ou ses représentants se séparent, d’une parole officielle couchée par écrit à destination d’autrui. En cela, l’enregistrement des lettres envoyées relève d’un geste tout à fait similaire à la consignation des délibérations du conseil. Il importe de se souvenir de ce qu’on a pu envoyer ici ou là, car l’écriture est un acte qui implique son auteur et met en jeu un pouvoir. Le registre des lettres envoyées est ainsi une preuve de l’activité écrite du gouvernement et une émanation de son pouvoir.

La mise en mémoire des lettres servait plus prosaïquement l’administration interne des affaires communales. Elle offrait à la chancellerie et au conseil un suivi des sujets traités avec chaque destinataire. A la lecture des Briefbücher, on devine combien les doubles de missives ont pu être précieux dans les questions judiciaires. Les démêlés du conseil avec l’un de ses anciens bourgeois ou les tractations avec un noble en Fehde duraient couramment plusieurs années, de règlements amiables en recours en justice, de réunions sans résultats en rendez-vous annulés. Les Briefbücher permettaient de tenir le fil de ces affaires de leur naissance à leur dénouement quel que fût le syndic ou le conseiller chargés de représenter la ville sur le moment 348 . Ils s’inscrivent dans une société médiévale procédurière et dans un temps long où comptaient la mémoire et le souvenir, malgré la succession des hommes.

Les registres offraient d’autre part une garantie face aux insuffisances du transport postal. En cas de perte ou de vol, le conseil pouvait spécifier après coup au destinataire lésé la teneur de la lettre égarée. Le 10 janvier 1449, le conseil de Nuremberg constata la non-réception d’une de ses missives précédentes. Il fut alors à même d’en résumer le contenu à l’aide du livre de missive de l’année antérieure.

« Hans Haunbach, Hans Cramer, Hans Fern, Andres Waler et autres membres de l’ancien conseil de Schweinfurt.
Chers amis, nous avons bien reçu votre lettre datée du mercredi après le dimanche de l’épiphanie (08/01/1449), de même que la fiche jointe. Au début de cette lettre, vous dites que vous n’avez pas reçu la lettre dont nous vous parlions dans notre dernière lettre et que nous avions écrite vers la sainte Lucie (13/12/1448) à propos de la décision des villes et du procès-verbal établi sur votre affaire à Ulm. Cela ne nous plaît guère, car nous vous répondions aussi dans cette même lettre sur la base de vos écrits et de votre entretien avec notre conseiller Berthold Volkmeir, et nous vous y parlions des décisions des villes, et cette même lettre nous avions demandé de la confier au même messager qui nous avait apporté votre lettre… » 349

Le cas échéant, le Briefbuch permettait de recopier mot pour mot une lettre déjà émise. Au cours de l’année 1448, le conseiller Jörg Geuder dût participer à une affaire de justice féodale. La lettre de pouvoirs que le conseil lui avait conférée fut versée au dossier détenu par l’arbitre Johann de Brandebourg. Quand ce dernier refusa de restituer la pièce nécessaire à un nouvel arbitrage devant un commissaire royal, Jörg Geuder se tourna vers le conseil.

« Comme sa demande nous semble honnête, nous lui avons donné, pour aider la justice et le droit, une autre lettre de pouvoirs analogue, disant mot pour mot comme la première et scellée du sceau secret de notre ville, et cette lettre dit : « Nous, bourgmestres etc comme dans le Briefbuch 27 au folio 407 » 350 . ’

Lire les Briefbücher comme de simples brouillons serait donc leur faire grande injustice. Ils constituaient des ouvrages de référence auxquels on revenait d’un échange à l’autre avec chaque destinataire. Ils formaient un tout en correspondance, où chaque nouvelle missive ajoutée au dossier rappellait la lettre précédente envoyée au même récipiendaire, fût-elle enregistrée deux ans auparavant. Ce fonctionnement circulaire des registres reposait sur la forme même de chaque lettre, qui se référait toujours aux échanges antérieurs, mais s’appuyait aussi sur une indexation par destinataires, insérée au début des volumes. Si les missives ébauchées se succédaient dans les livres en ordre chronologique, les secrétaires prirent en effet soin de mettre clairement en exergue le nom de chaque destinataire. Des index alphabétiques mêlant les noms de personne et les noms de lieux virent le jour dès les premiers Briefbücher pour faciliter le suivi d’un même destinataire d’une lettre à l’autre 351 .

Notes
348.

Les exemples d’affaires de longue haleine suivies par les registres épistolaires de Nuremberg sont très nombreux. Les Briefbücher se préoccupent ainsi du renversement du conseil de Schweinfurt de 1446 à 1450.

349.

Cf. StAN, BB 19, fol. 267 (10/01/1449)

« Hannsen Hawnbach, Hannsen Cramer, Hannsen Vern, Andresen Waler und andern des alten Rats zu Sweinfurt. Lieben Freunde, Ewrn brief uns aber zugesandt, des datum stet am mitwochen nach epiphanie dominici nechtsvergangen haben wir mitsampt der eingeslossen zettel wol vernomen etc uns alls ir am anfannk desselben briefs meldt wie euch unser brief davon wir euch in unserm nechsten brief meldung getan und darinn wir euch umb lucie nechstvergangen der stet besliessung und abschidung ewrer sachen halben zu Ulme gescheen geschrieben haben nicht worden sey, das war uns nicht liep, wann wir haben ewrer fruntschaft desselbenmals auf ewer schrifte, wie ir mit unserm Ratsfrunde Berchtolden Volkmer geredt hettet etc unser antwurt und der stett abschidung geschriben und denselben brieve dem potten der uns ewrn brief pracht geben haben heissen… »

350.

Cf. StAN, BB 18, fol. 108 verso (25/07/1448)

Un autre exemple apparaît dans le BB 19 au folio 25 verso : « Note : On a écrit au sire Gösswein, chancelier du Brabant à propos de nos marchands et des douanes comme dans le livre 21 au folio 392 »

351.

Ces index demeurent cependant très peu fiables. Toutes les lettres n’y sont pas enregistrées et, au sein du répertoire alphabétique, l’ordre n’est pas forcément chronologique.