Eloges et conscience citadine

Les éloges et les chroniques, qui constituent l’essentiel du legs médiéval en terme de discours sur la ville, possèdent leurs propres règles de fonctionnement. La réalité urbaine n’y est pas forcément première ni décisive. Ces documents s’inspirent de textes antérieurs, de grandes valeurs de références et de topoï. Ils portent l’empreinte de leur auteur, de son parcours et des visées de son œuvre. C’est au travers de tels miroirs déformants qu’apparaissent les villes médiévales décrites. Dans leur grande majorité, ces discours sont écrits de « l’intérieur » des cités et révèlent ainsi les divers rapports que des individus ou des corps entretenaient avec celles-ci. Les discours sur la ville perçoivent, construisent et re-présentent la réalité urbaine plus qu’ils ne la reflètent et pour cela opèrent des classements et regroupements, qu’ils soient implicites ou explicites.

Les historiens opèrent depuis peu un retour aux représentations urbaines. Longtemps elles avaient été rangées au registre de l’art ou de la littérature et étaient abandonnées à d’autres spécialistes. Depuis la fin des années 1980, elles se sont cependant peu à peu taillé une place dans la discipline et, après avoir gagné les monographies, 386 occupent désormais tout un pan de la recherche urbaine 387 . Cette dernière s’intéresse à des vecteurs de représentation de la ville fort variés : commémorations de batailles, fêtes, processions urbaines, bâtiments, littérature encomiastique, et même argenterie municipale 388  !…

Je n’ignore pas que borner ici mon enquête aux seuls mots livre une approche forcément réductrice de la didactique intercommunale. Mais les textes littéraires et les documents administratifs offrent l’avantage de compter parmi les formes de représentations urbaines les plus anciennes, les plus accessibles et les mieux partagées d’une cité à l’autre. Ils étaient par là gages d’un éclairage multiple sur les villes de la région franconienne. Que révèlent-ils des perceptions urbaines ? Etait-on en soi et pour soi ? Ou, guidé par un sentiment et un intérêt commun, regardait-on parfois au delà des murs pour se préoccuper d’autres villes ?

Notes
386.

Seuls quelques exemples peuvent figurer ici. On retiendra : Elisabeth Crouzet-Pavan, Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, 1992, (Collection de l’Ecole Française de Rome, 156) ; Gérard Labrot, L’image de Rome : Une arme pour la Contre-Réforme 1534-1677, Paris : Presses Universitaires de France, 1987, (Epoques-Champ Vallon) ; Pierre Monnet, Pouvoirs, affaires et parenté à la fin du Moyen Âge : les Rohrbach de Francfort, Genève : Droz, 1998 ;

387.

Sur les représentations en général, voir Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, (nov.-déc. 1989), p. 1505-1520 : « Il n’est pas de pratique, ni de structure qui ne soit produite par des représentations, contradictoires et affrontées, par lesquelles les individus et les groupes donnent sens au monde qui est le leur » (p. 1508) ; voir aussi les études suivantes sur les représentations urbaines médiévales : Bernard Chevalier, « Le paysage urbain à la fin du Moyen Âge, imagination et réalité », dans Le paysage urbain, Lyon, 1981, p. 7-21 ; Chiara Frugoni, A distant City. Images of Urban Experience in the Medieval World, Princeton, 1991 ; Noël Coulet et Olivier Guyojeannin (dir.), La ville au Moyen Âge, tome 2 : Sociétés et pouvoirs dans la ville, Paris : édition du CTHS, 1998, chapitre 4 : « Représentations », p. 247 et s. ; Heinrich Schmidt , Die deutschen Städtechroniken als Spiegel des bürgerlichen Selbstverständnisses im Spätmittelalter, Göttingen, 1958, (Schriftenreihe der historischen Kommission bei der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, Schrift 3) ; Bernhard Kirchgässner et Hans-Peter Becht, Stadt und Repräsentation, Sigmaringen : Thorbecke, 1995, (Stadt in der Geschichte, vol. 21).

388.

L’ouvrage dirigé par Bernhard Kirchgässner etHans-Peter Becht : Stadt und Repräsentation, 31. Arbeitstagung in Pforzheim, 1992, Sigmaringen : Jan Thorbecke, 1995, (Stadt in der Geschichte, 21), 156 p., présente plusieurs types de représentations urbaines.