A chacun sa salutation

Il suffit de considérer une année au fil des Briefbücher pour rencontrer plusieurs grands groupes de destinataires, délimités par leurs adresses respectives. Pour 1447, le registre épistolaire nurembergeois livre 628 lettres pourvues d’une adresse au destinataire. Les termes de salutation utilisés peuvent s’ordonner en huit ensembles, tandis que les titres donnés au destinataire permettent d’en préciser les contours.

Les personnes saluées de la sorte comptent toutes parmi la noblesse ou la chevalerie. Nuremberg interpelle ainsi des nobles dans l’exercice de leur office et toute la cohorte des chevaliers de Franconie.

A de plus rares occasions, les lettres du conseil formulent leurs adresses à partir de l’adjectif « (er)würdig » et saluent une « chère et digne Dame » (erwirdige liebe Frawe) ou de « très dignes sires » (Hochwirdigen Herren). Ces dignes personnages correspondent à des ecclésiastiques, qu’ils soient membres du clergé régulier, curés, docteurs en droit canon, chanoines ou official.

« Gnedige Frau » ou »  Gnediger Herr » (gracieuse Dame, gracieux Sire) introduisent près de 110 missives en 1447 (17,5%). Cette adresse touche un vaste éventail social qui comprend des évêques et des ducs, comme des comtes ou leurs épouses.

Quelques lettres ne s’embarrassent pas de salutations. Elles font l’économie de formules rhétoriques et s’ouvrent d’emblée sur le nom du destinataire assorti d’un tutoiement. Telle semble l’interpellation réservée par le conseil à ses simples bourgeois.

On rencontre cependant quelques formules épistolaires plus courtoises :

Elles se tournent vers des employés du conseil, des hommes qui lui sont liés par contrat ou par serment. Des juges, greffiers ou avoués officiant hors de la ville bénéficient de la même salutation. Seuls quelques-uns se voient assurés d’entrée de l’amitié (ou du service amical) du gouvernement nurembergeois : Unser freuntschaft bevor, unser freuntlich dienst bevor. Ce sont alors des conseillers municipaux en mission ou des bourgeois étrangers dont le conseil semble familier.

Une seule formule épistolaire se tourne en définitive, non vers des particuliers, mais vers un groupe. Le conseil de Nuremberg réserve ce type de salutation aux « Freunde », aux amis. Et ils sont nombreux, puisqu’en 1447, 38% des missives dotées d’une adresse jouent ainsi sur la corde sensible de l’amitié. Le jeu combinatoire des adjectifs permet quelques variantes, qui introduisent les notions d’honorabilité, d’affection et de prudence :

Ces formules épistolaires conviennent manifestement à des villes. Chaque fois que le titre, au dessus de la missive, porte l’indication « Stadt », la salutation consécutive exprime l’amitié du conseil nurembergeois envers la localité destinataire. Peu importent les particularités de la cité, qu’elle soit proche ou éloignée, seigneuriale ou impériale, grande ou petite, les missives la rangent parmi les « chers amis ». Du point de vue de Nuremberg, écrire à une ville semble impliquer l’expression de son amitié. C’est hélas pure utopie que d’espérer trouver dans la salutation « chers amis » un marqueur d’urbanité. Certes jamais un groupe de nobles, de chevaliers ou de princes ne bénéficie d’un tel qualificatif. Mais la salutation amicale ne s’arrête pas aux frontières des villes, elle inclut aussi villages et bourgades. Le « village de Saunsheim » (Dorf zu Saunsheim) ou la « bourgade de Hannbach » (Markt zu Hannbach) reçoivent sans faute du « chers amis ». A tous, villes, villages, bourgades ou corporations, Nuremberg accorde avec insistance ses marques d’amitié. La salutation amicale est renouvelée à l’intérieur des lettres par de nouvelles preuves d’affection. Le destinataire y représente parfois l’amitié personnifiée. « Nous envoyons donc à votre amitié ci-joint une copie de cette même lettre pour que vous sachiez aussi comment vous orienter et vous comporter » (« also schicken wir ewr freuntschaft desselben briefs ein abschrift hirinn verslossen euch darnach auch wissen zurichten und zu halten »).