Une apparition tardive des réseaux politiques urbains en Franconie

Au regard des réseaux politiques urbains fondés dans d’autres régions, la Franconie accuse un retard certain 869 .

En Rhénanie, les premières alliances politiques urbaines se nouèrent dans les années 1220 et subirent une interdiction royale dès 1226 870 . Ce fut pour mieux renaître de leurs cendres. Dans le contexte d’interrègne, une fédération de villes, préoccupées par la paix dans l’empire et inquiètes de l’attitude de Guillaume de Hollande à leur égard, forma en 1254 la Ligue du Rhin. Ce « foedus Sancte Pacis », soucieux avant tout de la paix dans l’empire, alliait des princes et des villes pour 10 ans et compta vite des participants hors de la zone rhénane 871 . Le terrain d’une si vaste alliance avait été progressivement préparé dans le milieu urbain par des contrats bipartites noués entre des cités de l’espace rhénan ou helvétique. Dès 1227, Strasbourg et Spire avaient adopté une position commune relative au droit d’engagère 872 . D’autres cités conclurent des ententes similaires, destinées à définir leurs droits de juridiction réciproques ou à faire front commun devant un nouveau souverain 873 . Dès 1285, les associations politiques urbaines gagnèrent la Wetterau, puis se propagèrent, au début du XIVe siècle, aux villes libres et impériales souabes.

Mais, face à cette prolifération de ligues urbaines, les cités franconiennes, tant seigneuriales qu’impériales, restèrent de marbre pendant tout le XIIIe siècle. Sollicitées, elles préférèrent se tenir à l’écart. En 1256, les représentants de la ligue rhénane vinrent à une assemblée impériale réunie à Würzbourg. Mais, malgré leurs démarches auprès des cités de la région, ils n’obtinrent pas un recrutement au-delà d’Erfurt et de Ratisbonne. Jusqu’au milieu du XIVe siècle, les ligues politiques urbaines s’arrêtèrent aux portes de la Franconie. On peut s’interroger sur les causes d’un tel retard et c’est sans doute dans une conjonction de facteurs qu’il faut trouver une explication. La fédération tardive des villes impériales franconiennes dans des réseaux politiques repose au premier titre sur les retards de développement du semis urbain franconien. La rareté des villes impériales dans le pays fut un indéniable handicap pour leurs associations, d’autant que plusieurs d’entre elles, par leur taille modeste, furent exposées à plusieurs reprises aux mises en engagères 874 . Ainsi en 1349, sur l’ensemble des villes impériales franconiennes, il ne restait par exemple que deux villes aptes à s’allier, Nuremberg et Rothenbourg. La Königsnähe cultivée par les puissances régionales constitua sans doute un autre ingrédient du retard fédératif franconien. En liant intimement son sort au roi, chaque ville impériale franconienne semble s’être contentée longtemps de la marge d’action réduite que lui laissait le souverain. Encore au XIIIe siècle, les seules relations dont on trouve trace entre Nuremberg et Windsheim relevaient de la seule administration royale 875 .

Si les villes franconiennes se lancèrent tardivement dans les institutions intercommunales, cela offre quelques avantages à qui veut les étudier. L’usage de l’écrit, largement répandu au XIVe siècle, permet de mieux s’immiscer dans les coulisses de leurs alliances et de saisir, plus facilement qu’ailleurs, la construction des institutions intercommunales.

En Franconie, comme dans d’autres régions de l’empire, les formes contractuelles d’aide et d’action conjointes ne se bornaient pas au monde urbain. Elles incluaient souvent, aux côtés de villes impériales, des princes, barons et membres de la chevalerie. Aussi, l’histoire des institutions intercommunales en Franconie ne débute-t-elle pas avec les ligues urbaines, mais avec les associations locales pour la paix. Ces institutions mixtes qui mêlaient toutes les forces du pays furent un véritable laboratoire pour les coopérations interurbaines. En coulisse, dans des comités paritaires, les villes purent apprendre le B.A.-BA de la vie en commun.

Notes
869.

Pour une chronologie générale des ligues urbaines et des institutions locales de paix, voir K. Ruser, Die Urkunden und Akten der oberdeutschen Städtebünde vom 13. Jahrhundert bis 1549, 3 vol., Göttingen, 1979, vol. 1. K. Ruser a édité tout un ensemble d’actes des ligues urbaines et édits de paix concernant l’Allemagne du Sud. Les analyses de ce chapitre reposeront essentiellement sur cette édition, de même que sur l’édition d’actes de Landfriede proposée par G. Pfeiffer. Cf. G. Pfeiffer (éd.), Quellen zur Geschichte der fränkisch-bayerischen Landfriedesorganisation im Spätmittelalter, Munich, 1975.

870.

Interdiction de la ligue urbaine rhénane en 1226 : M.G.H., Const. II, n°294

871.

La ligue rhénane de 1254 compte par exemple les 3 archevêques rhénans, 70 villes allant de Bâle à Erfurt en Thuringe et divers seigneurs territoriaux.

872.

Boppard et Cologne, Boppard et Coblence concluent des accords similaires à propos des engagères.

873.

Sur ces réseaux politiques rhénans et leur « préhistoire », voir Odile Kammerer, « Réseaux de villes et conscience urbaine dans l’Oberrhein (milieu XIIIe siècle-milieu XIVe siècle), Francia. Moyen Âge 25/1 (1999), p. 123-175. De même que ses positions de thèse dans Odile Kammerer, « Entre Vosges et Forêt-Noire : pouvoirs, terroirs et villes de l’Oberrhein 1250-1350 », Revue d’Alsace 125 (1999), p.211-216. Thèse d’habilitation soutenue à Paris I en 1998

874.

Dinkelsbühl fut donnée en engagère en 1295-1302 et 1341-1351 au profit des comtes d’Oettingen. Windsheim fut concédée en 1297-1302 à l’évêque de Würzbourg, puis en 1325-1341 et en 1347-1360 aux burgraves de Nuremberg ; Wissembourg revint aux Oettingen en 1295-1302, à l’évêque d’Eichstätt en 1315-1321 et aux burgraves de Nuremberg en 1325-1341 et 1347-1360. Schweinfurt fut concédée aux comtes de Henneberg en 1297-1303, à l’évêque de Würzbourg en 1304-1308. Elle retourna au moins en partie aux Henneberg en 1309. Lors du règlement successoral des Henneberg, l’autorité sur Schweinfurt se scinda en deux. Une moitié fut vendue en 1354 à l’évêque de Würzbourg, confiée en engagère au bourgeois Friedrich Schmidt en 1359 et libérée d’engagère en 1386. L’autre moitié fut rachetée par la ville dès 1361. Rothenbourg a été pour sa part concédée en 1325-1335 aux comtes de Hohenlohe et en 1349-1352 à l’évêque de Würzbourg. Aufkirchen et Feuchtwangen perdirent leur immédiateté d’empire.

875.

Cf. Werner Schultheiss (éd.), Urkundenbuch der Reichsstadt Windsheim (751-1400), Würzbourg, 1963. A l’avenir, UB Windsheim. Ici, n°12 : Le roi Henri VII recommande le 21 novembre 1234 à ses employés, dont le bouteiller de Nuremberg (putiglarius de Nurenberg) et l’écoutête (schultheiss) de Rothenbourg, sur plainte de l’évêque Hermann de Würzbourg, de ne plus gêner l’exercice de ses droits seigneuriaux et dispositions de justice, en particulier dans la bourgade vers Windsheim (in foro aput Windesheim).