Les villes membres

De projets avortés en renouvellements, 19 édits de paix se succédèrent entre 1340 et 1427 879 . Les véritables acteurs de ces coopérations régionales étaient les souscripteurs de l’acte, mentionnés dès l’origine dans l’accord, et prestataires du serment de paix. Ces signataires coïncidaient avec ceux qui avaient mené les démarches initiales, ou ceux qui, sollicités par le roi, étaient parvenus à un consensus au nom de la paix. Par calcul, par obéissance au roi ou par réelle conviction, les villes signataires s’engageaient en toute connaissance de cause dans une démarche de concertation active, au-delà de leurs quant à soi respectifs.

Il est nécessaire de les distinguer très nettement des cités qui subirent les accords régionaux, plutôt qu’elles ne les créèrent. Ce fut le cas en particulier de nombreuses villes seigneuriales, qui devaient jurer devant leur sire de respecter la Landfriede que ce dernier avait adoptée 880 , au même titre que les autres agents et sujets du seigneur territorial. Celles qui s’y refusaient s’exposaient à des représailles, ou pour le moins à l’isolement 881 . Chaque évêque, prince, comte ou baron était donc chargé de veiller à ce que ses villes, ses juges, ses officiers ou ses agents du secteur de Landfriede prêtent le serment requis. Les barons semblent néanmoins avoir cherché à soustraire leurs villes aux obligations des édits de paix régionaux. L’union de 1371 en garde trace dans son article 35 : Dans un délai d’un mois, tous les chevaliers, écuyers et villes devaient jurer la Landfriede devant leur seigneur ou son représentant, à moins que cela n’eut déjà été fait avant, et à l’exception des villes des barons (Herrenstet). Ces derniers épargnèrent ainsi à leurs cités les dépenses et devoirs communs. Mais ils leur ôtèrent aussi, et surtout, une capacité d’action supra-territoriale qui pouvait être le prélude à une prise d’autonomie. Cette mise en retrait des villes comtales ou baronales dans les institutions de paix s’accentua encore dans les Landfrieden du XVe siècle. La paix n’incombait plus alors qu’aux villes impériales et aux princes. En 1415, un amendement à l’édit de 1414 précisa que les contributions à la paix ne concernaient pas les comtes, barons, chevaliers, écuyers ou villes seigneuriales, seuls les princes et les villes d’empire 882 devaient mettre la main à la poche.

Une participation passive à la paix régionale n’ôtait cependant pas aux villes seigneuriales le bénéfice des services offerts par la Landfriede. La ville de Bamberg put par exemple recourir plus d’une fois au tribunal d’arbitrage de la Landfriede pour exprimer ses plaintes contre des villes du voisinage, comme Heidingsfeld ou Kitzingen 883 .

L’ensemble des villes impériales franconiennes se trouva une seule et unique fois ravalé au rang d’exécutrices de la paix régionale. En 1358, l’édit de paix de Rothenbourg, que l’empereur et roi de Bohême Charles IV conclut avec plusieurs princes de la région franconienne, transforma les cités de l’empire en simples spectatrices.

« Nous ordonnons aussi, nous susdit Empereur, à toutes nos villes et villes du saint empire qui sont comprises dans les susdits pays et cercles, d’apporter leur aide à cela de toutes leurs forces sur la base de leur serment et de leur foi, puisqu’elles sont liées à nous et à l’empire, à chaque fois et aussi souvent qu’elles y seront appelées par notre commandant susdit » 884 .’

Quelles furent en Franconie les villes signataires des accords de paix ?

Avant tout, des cités impériales.

Sur 17 édits de paix franconiens auxquels participèrent des villes, échelonnés entre 1340 et 1427, Nuremberg fut toujours présente. Wissembourg, avec 14 participations, Rothenbourg avec 12 participations 885 et Windsheim, avec 11, constituèrent, à ses côtés, les piliers des institutions de paix régionales. Encore, la participation de Rothenbourg, Wissembourg et Windsheim fut-elle obérée par des périodes d’engagère, qui les empêchèrent à plusieurs reprises de s’insérer dans la Landfriede autrement que derrière un seigneur. En 1353, Windsheim et Wissembourg se contentèrent par exemple de jurer la Landfriede adoptée par les burgraves de Nuremberg, mais elles s’y insérèrent à part entière en 1368, sitôt libérées d’engagère.

Schweinfurt ne souscrivit pour sa part qu’à 6 édits de paix, une réserve que l’on peut mettre sur le compte des engagères au XIVe siècle, mais qui tint aussi à une réelle volonté de rester en retrait en 1398 ou 1423 886 et 1427, « éloignement » oblige.

A l’occasion, le cercle des villes impériales franconiennes admettait cependant d’autres partenaires urbains dans les institutions de paix régionales.

L’extension du secteur de paix à la Nouvelle Bohême ou aux possessions bavaroises permit à Eger et Ratisbonne de s’intégrer aux accords, avec respectivement 4 et 3 participations entre 1340 et 1427. A l’égard des Landfrieden de Franconie et de Souabe, Ratisbonne montra néanmoins peu d’empressement. Sitôt inscrite, sur la demande du roi, parmi les membres de la Paixde 1353, elle n’eut de cesse de faire préciser ses droits face aux mesures supra-territoriales qu’impliquait l’union. Elle amena le roi à préciser que « la ville a juré la Landfriede de Bavière et de Franconie comme les autres villes membres, sur demande expresse du souverain, étant entendu que le saint empire et la ville de Ratisbonne restent saufs dans tous leurs droits, libertés, coutumes et usages ». Les bourgeois de Ratisbonne, qui n’envisageaient manifestement pas une prolongation, demandèrent aussi à reprendre les chartes qu’ils avaient scellées dès que la Landfriede arriverait à échéance. En 1396, la ville obtint finalement du souverain le droit de rester hors d’une Landfriede à laquelle elle avait pris part pendant 6 années entières. Car l’institution était « trop mal située et difficile à fréquenter » pour les gens de Ratisbonne. Ils résidaient « trop loin », de sorte que les « aides et protections prévues » leur faisaient défaut 887 .

Plus inattendue encore est l’insertion, dans les premiers édits de paix franconiens, de quelques villes seigneuriales comme membres signataires. Il en fut ainsi de Würzbourg (2 participations), Bamberg et Eichstätt. Une telle « révolution de palais » doit sans doute être attribuée à la seule volonté de l’empereur Louis le Bavarois. En acceptant les trois cités épiscopales comme signataires, il affaiblissait l’autorité de leurs seigneurs respectifs et soutenait l’aspiration de leurs bourgeoisies à l’autonomie. L’édit de paix devait sans doute faciliter une transition en douceur vers l’émancipation urbaine, avec l’aide de quelques villes impériales proches. L’avènement de Charles IV et la naissance de conflits armés entre les villes et leurs seigneurs 888 consacrèrent cependant l’échec de cette politique. S’il soutint pendant un temps les rêves d’émancipation des villes de l’évêché de Würzbourg, Wenceslas renonça à les insérer dans la Paix de 1397.

Une autre coopération, plus lâche, était prévue dans plusieurs édits. Elle concernait les organisations de paix des régions voisines. Dès la première Landfriede franconienne, il fut inscrit noir sur blanc que « en cas de brigandage, les institutions de paix de Souabe et de Franconie doivent s’aider mutuellement » 889 . La clause fut suivie d’effets, puisque les comptes nurembergeois témoignent en 1393 de réunions entre les représentants des Landfrieden franconienne et souabe 890 . Ces assemblées aboutirent à quelques décisions communes valant pour les deux secteurs régionaux 891 . Indépendamment de l’entrée des villes impériales franconiennes dans la ligue urbaine souabe, les institutions de paix offraient ainsi un premier cadre de rapprochement entre les villes impériales des deux régions.

Notes
879.

Voir tableau en annexe : chronologie des Landfriede franconiennes. Cf. Gerhard Pfeiffer, « Die königlichen Landfriedeseinungen in Franken », dans Patze (éd.), Der Deutsche Territorialstaat im 14. Jahrhundert, 1971, p. 229 et s.

880.

Voir par exemple l’article 14 de la Landfriede du 4 octobre 1349, Cf. G. Pfeiffer (éd.), Quellen zur Geschichte der fränkisch-bayerischen Landfriedesorganisation im Spätmittelalter, Munich, 1975, p. 34 et s., n°15. Idem dans l’article 23 de la Landfriede de 1353 : G. Pfeiffer, Quellen…, p. 39 et s., n°24.

L’article 17 de l’édit de paix de 1398 (n° 373, p. 190 et s.) souligne à son tour que les participants de la Landfriede, leurs officiers, chevaliers et écuyers, de même que les conseils et échevins dans les villes et bourgades, doivent jurer la Landfriede.

Ces prestations de serment « derrière » un seigneur engagé dans la Landfriede ont parfois été répertoriées. En 1389, les villes de Würzbourg, Schweinfurt, Königshofen, Sesslach, Ebern, Hassfurt, Eltmen et Gerolzhofen jurent d’observer la Landfriede sous l’autorité de l’évêque de Würzbourg. Cf. G. Pfeiffer , Quellen…, n°143, n°145

Un registre pour 1404-1405 montre que, devant le burgrave Johann de Nuremberg jurent les « bourgmestres, le conseil et les bourgeois de Hof », « ceux de Weissenstadt, ceux de Wonsiedel », « la ville de Schauenstein », « la ville de Münchberg », « la ville de Kulmbach », « la ville de Bayreuth », Neustadt, » la ville de Krausen », la ville de Wongesesse, Kassendorf, Baiersdorf, Berneck, Wirsberg, Kirchenlamnitz, Gefrese, Stainach, Neustadt/Aisch, Erlangen, Kitzingen, Dachsbach.

A la suite de l’évêque de Würzbourg, jurent « la ville de Rötingen », « les bourgeois de Neustadt », « l’ écoutête et les bourgeois de Bischofsheim », de Mellrichstadt, de Fladungen, de Meiningen, les bourgeois d’Arnstein. (liste probablement incomplète)

881.

Voir Landfriede du 23 août 1353. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…,p. 39 et s., n°24 : Les seigneurs, chevaliers, écuyers et villes qui ne jurent pas la paix dans le secteur défini pour la Landfriede ne doivent pas recevoir d’aide de la part des membres de la paix. S’ils agissent contre la Landfriede, on doit se comporter envers eux selon le droit de Landfriede.

882.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen… n°697

883.

Voir G. Pfeiffer, Quellen…, n° 259, n°574

884.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°42, p. 47. On connaît peu le détail des tractations qui aboutissaient à un édit de paix. Mais il est certain que les villes impériales y prirent dans l’ensemble une part active. Les missives des premiers Briefbücher de Nuremberg montrent plusieurs réunions préparatoires destinées à mettre au point une éventuelle prolongation de la Landfriede. Nuremberg s’activa en 1423 afin de faire partager à ses consoeurs les vœux de Landfriede du roi Sigismond. On constate par contre quelques réticences en 1389. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°144, p.95-96. Pour autant qu’on puisse en juger globalement, au début du XVe siècle, les villes impériales adoptaient une attitude plutôt attentiste et pragmatique. Elles prenaient part à la Landfriede quand elles constataient sur ce point un consensus solide parmi les princes et la noblesse du pays.

885.

Rothenbourg cumula parfois les appartenances aux édits de paix régionaux. En 1352, quand la Landfriede de 1349 arriva à son terme, Rothenbourg eut l’accord de Charles IV pour se joindre à la Landfriede souabe. Cela ne l’empêcha pas de participer pleinement à la Paix franconienne de 1353.

886.

Quand la Landfriede de 1423 échoua, Schweinfurt se lança seule dans une alliance pour la paix avec la chevalerie de Franconie.

887.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n° 332, p. 177

888.

Par exemple, en 1397, quand les bourgeois de Würzbourg lancent une révolte et font le siège du fort de Marienberg.

889.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°1, p. 28 et s.

890.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n° 240, p. 156. « Le voyage que firent Berthold Beheim, Berthold Pfinzing et Jobst Tetzel jusqu’à Bamberg pour la réunion qu’avaient entreprise les princes et barons et alors que les deux Landfrieden de Franconie et de Souabe y étaient aussi, 106 lb, 18 S et 9 hlr ».

891.

Cf. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n° 261 et 264, p. 161. Dans un lettre à Rothenbourg (18/11/1393), le comte Johann de Wertheim et les 8 qui dirigent avec lui la Landfriede de Bavière et de Franconie précisent que :

Le comte palatin rhénan et duc de Bavière, Stéphane, a demandé la tenue d’une assemblée des deux Landfrieden en Franconie et en Souabe, à cause des désordres régnant dans le pays et en raison du cours des temps. Après des négociations à Bamberg, les princes, les barons et les villes des deux Landfrieden devaient se rencontrer au sujet de l’argent prêté à la Landfriede, des retards dans le service de la Landfriede et de la mise en place d’une milice permanente chargée d’assurer la paix dans le pays.