Le comité d’arbitrage

Les accords de Landfriede n’étaient cependant que des déclarations de principe, qui restaient, et restèrent parfois, lettre morte si la concorde, les énergies et les crédits nécessaires à leur application ne suivaient pas. Pour ne pas se limiter à des institutions de papier, ils demandaient un exécutif capable de faire respecter, par la force militaire et le droit, les dispositions prévues contre les fauteurs de troubles de toute espèce (incendiaires, voleurs, pilleurs, brigands, auteurs de Fehde illégitimes…). C’est en aval de l’acte fondateur de la paix, dans la mise à exécution des dispositions, que commençait la véritable coopération. Elle s’incarnait dans les activités du comité de Landfriede.

A la tête de l’exécutif des institutions de paix figurait un comité dont la composition était définie à chaque fois par l’acte de Paix. Sa charge principale consistait à réprimer les atteintes contre le droit de Landfriede, à coordonner les actions contre les ennemis de la paix et à tenir un tribunal d’arbitrage. Pour ce faire, le commandant de Landfriede, doté des pouvoirs militaires impériaux, était épaulé par un nombre variable de conseillers, délégués par des membres de l’union. Ensemble, ils devaient également répartir les frais d’exécution entre les membres de l’accord, régler d’éventuels litiges internes et se prononcer sur l’intégration de nouveaux participants.

Le comité fonctionnait comme un organe central auquel tout membre devait faire appel en cas de besoin, pour bénéficier des aides prévues par l’association. Il formait l’instance vers laquelle convergeaient les intérêts divergents des protagonistes. Quand plusieurs affaires lui étaient soumises, c’était lui qui arbitrait et définissait les priorités. Il effectuait un compromis ou un choix entre les intérêts des protagonistes, puis traduisait ces options en principes d’action. Il arbitrait aussi, au sens propre du terme, puisque le comité avait une dimension judiciaire. Ses membres, choisis par conséquent parmi des hommes instruits du droit coutumier, rendaient au besoin des jugements amiables entre accusateurs et accusés 932 . A leur entrée en fonction, ils juraient par conséquent, comme en 1353 par exemple, d’être des juges impartiaux.

Le comité était la clé de voûte de l’association politique. Si ses arbitrages se mettaient à trop diverger des intérêts particuliers (parmi lesquels ceux de chaque ville, et des villes dans leur ensemble), tout l’édifice s’effondrait ; les protagonistes risquaient un à un de se désolidariser de la démarche collective. Quand dans leur ensemble ou à titre individuel, les villes ne trouvaient plus satisfaction dans les démarches engagées par le comité de Landfriede, elles allaient chercher ailleurs une meilleure prise en charge de leurs intérêts, que ce soit dans la ligue urbaine souabe, dans de petites alliances interurbaines franconiennes ou dans des unions avec les autres forces du pays.

Grâce à la diligence de sa chancellerie 933 , le comité a laissé en Franconie de nombreuses correspondances, citations, jugements et protocoles traduisant son activité. Pour les années 1389-1397 et 1404-1410, on peut donc suivre le travail quotidien de ce conseil.

Le comité était d’une importance stratégique, il dictait la politique régionale et sa composition reflétait les équilibres de forces locaux.

« Les Landfrieden ne modifiaient pas les rapports politiques, mais stabilisaient des rapports existants, ce qu’on voit dans leur texte même, et en particulier à chaque constitution du comité, qui reflète les relations de la royauté avec les membres de Landfriede autant que les relations de ces derniers entre eux » 934

En ce qui concerne plus strictement les villes, la composition du comité traduisait à chaque fois leur poids global dans la politique impériale et leur influence momentanée face à l’ensemble hétérogène des princes, comtes, chevaliers, barons et écuyers du pays. En retour, la structure du comité pesait sur la marche de l’édit de paix. Elle le rendait plus ou moins viable, plus ou moins efficace, et orientait ses décisions.

Quand il s’agissait de définir les principes d’action de l’association, les membres du comité devaient décider à la majorité, qu’ils fussent tous présents ou non. Il est donc important de considérer le nombre de sièges obtenus par les villes à l’intérieur du conseil exécutif. Disposaient-elles d’assez de places au comité pour faire entendre leur voix et infléchir la démarche commune ? Purent-elles aussi imposer au comité des lieux de réunion qui leur soient favorables ?

Indéniablement, le comité formait un enjeu pour l’ensemble des villes impériales du pays. Mais il revêtait aussi une importance stratégique pour chacune d’entre elles. Même si c’était avec discrétion, les rapports de forces interurbains s’exprimaient au conseil de Landfriede.

Le premier comité connu en Franconie correspond aux instances mises en place par Louis le Bavarois pour la Paix de 1340. Sous la direction de Lutz von Hohenlohe, il se composait de 8 « gemeine liute » et ménageait un équilibre entre les nobles et les délégués urbains. Pour les barons, en faisaient partie : Johann von Wenkheim der Hörauf, Dietrich Wildensteiner, Erkinger von Seinsheim ; pour les villes, Ulrich Weibler de Würzbourg, Konrad Gross, écoutête de Nuremberg, Libsperger, écoutête de Bamberg, Heinrich Vetter de Rothenbourg. Pour ce premier comité, les cités membres ne semblent pas avoir eu le choix de leurs représentants. C’est l’une des rares fois où ils furent désignés nommément dès l’entrée en vigueur de la Paix. Conformément aux activités d’arbitrage du comité, ce furent des spécialistes de la justice qui s’installèrent au comité. En leur qualité d’écoutête, ils incarnaient encore le pouvoir seigneurial ou royal qui régnait sur les villes, même si Konrad Gross et Heinrich Vetter représentaient déjà tout autant la volonté des conseils municipaux de Nuremberg et Rothenbourg. Si l’on compare en 1340 les signataires de la Paix et les sièges finalement obtenus dans le comité, la ville d’Eichstätt apparaît comme la grande perdante. Entre toutes les villes signataires, elle fut la seule tenue à l’écart des décisions majeures, sans que l’on puisse déterminer si c’était là la volonté de son seigneur ou le fruit de son éloignement.

Quand un membre de l’union dénonçait les torts subis, les 9 membres avaient pour mission de se réunir dans les 14 jours à Nuremberg. En dehors de ces cas d’urgence, limités à ce que le commandant ne pouvait traiter seul, 4 réunions fixes étaient prévues, à Nuremberg, selon les fêtes rituelles des quatre-temps : le premier dimanche qui suit Invocavit 935 , la pentecôte, le 14 septembre (élévation de la croix), et la sainte Lucie (13 décembre). Ce rythme resta immuable malgré la succession des édits de paix franconiens.

La Landfriede de 1349, établie par Charles IV sur le conseil des signataires, ménagea dans le comité une moindre place aux représentants des villes. Cette fois, l’organe central se cantonnait à deux délégués urbains tandis qu’il comptait 4 représentants des évêques et burgraves et 2 des comtes et barons, commandés par le chevalier Heinrich von Heimburg :

Les deux villes impériales signataires, Nuremberg et Rothenbourg, obtinrent chacune le siège qu’elles pouvaient espérer. Mais les dispositions qui réglaient les réunions du comité connurent de profonds remaniements au regard de 1340. Non tant dans la fréquence, qui resta identique, que dans les lieux de réunion. En alternance avec Nuremberg, Würzbourg, Bamberg et Neustadt am Aisch reçurent désormais pour charge d’héberger le comité. Pour les cas d’urgence, la dernière ville-hôte ou celle qui paraissait la plus appropriée au commandant pouvait faire l’affaire.

En 1353, un nouveau dispositif de paix impliqua la refonte des organes de direction de la Landfriede. Sous la direction d’Arnold von Seckendorf, la position des villes en sortit renforcée. L’égalité de sièges entre les délégués urbains et nobiliaires fut restaurée. Pour la première fois, les accords de Paix taisent l’identité des membres du comité. Le choix des personnes était sans doute laissé désormais à l’appréciation des participants. Les villes pouvaient se faire représenter par qui elles l’entendaient, un de leurs bourgmestres à en juger par les Landfrieden postérieures. Selon les termes de la Paix, les princes, comtes et barons devaient nommer 5 hommes, au même titre que les villes signataires de l’édit, Ratisbonne, Nuremberg, Würzbourg et Rothenbourg. Soit 5 sièges pour 4 villes membres. Y eut-il partage de la chaise en trop, une ville obtint-elle deux voix ? Aucun texte ne permet dans ce cas de trancher. Nuremberg parvint cependant à s’affirmer à nouveau comme le lieu exclusif de réunion. Le Landvogt impérial établi au château de Nuremberg fut en outre désigné comme le garant des accords de paix 936 .

En dépit de sa désignation trompeuse, la Landfriede de Rothenbourg, conclue en 1358, écarta complètement les villes des institutions de Paix et les ravala au rang de simples exécutrices. Les cités impériales du secteur devaient néanmoins aider à la Paix sur ordre du commandant. Rothenbourg s’y plia en 1359. L’établissement de l’édit de paix dans ses murs lui valut en contrepartie quelques avantages. Le commandant du comité, le Landgrave de Leuchtenberg, présidait aussi le Landgericht de Rothenbourg. Pendant la durée de la paix, il prêta donc une oreille attentive aux arbitrages sollicités par la ville devant ce tribunal 937 .

Les cités franconiennes ne purent retrouver une place au comité de paix qu’en 1368. A l’occasion de cette union qui devait garantir l’ordre dans la région jusqu’au retour de Charles IV en Allemagne, ce furent les signataires de l’édit eux-mêmes qui fixèrent, sans consultation préalable du souverain, la composition du comité de Landfriede (Die Genannten haben beschlossen, dass…). Ils optèrent pour Nuremberg comme lieu de siège et, sous la tutelle d’un nouveau commandant, Friedrich von Seldeneck 938 , ils renouèrent avec la répartition établie en 1353 (5 délégués des villes et 5 des nobles). Les 5 sièges impartis aux villes étaient pourvus par chacune des cités signataires de l’édit : Nuremberg, Eger, Wissembourg, Rothenbourg et Windsheim.

Au retour de Charles IV, les princes de la région entamèrent des négociations afin de mettre sur pied une union monétaire et un édit de paix. Les villes, contactées dès le printemps 1370, entrèrent finalement avec eux dans une nouvelle institution de Paix établie par l’empereur le 2 février 1371. Cette Landfriede valable pour 4 ans prorogea le dispositif précédent sous le commandement du chevalier Albrecht von Vestenberg (5 délégués des villes/ 5 des nobles). L’article 18 donnait aux membres du comité le pouvoir de destituer un commandant qui s’avérerait peu utile à la Paix. Les barons et les villes devaient alors révoquer ceux qu’ils avaient désignés (article 28).

La montée des désordres dans le pays ramenèrent les nobles, Nuremberg, Rothenbourg et le roi Wenceslas à la table des négociations pour une nouvelle paix en 1377 939 . Cette dernière fut promulguée le 27 mai 1377 pour une durée de trois ans. Il semble que le souverain ait voulu pour une fois se passer de comité régional. La tâche du conseil incombait en fait à un seul homme, le commandant, nommé par le roi, doté de la toute puissance royale et chargé par serment d’être un juge équitable envers riches et pauvres. Les plaintes des membres devaient se tourner vers lui tandis que des tribunaux étaient désignés pour recevoir les doléances des gens victimes d’une atteinte à la paix. Les plaignants avaient pour consigne de se présenter devant l’empereur, le roi, son commandant ou les officiers des princes au Landgericht d’Auerbach ou à celui de Nuremberg 940 . Le nouveau procédé parvint ainsi à évincer les cinq villes impériales signataires, tant des instances de décision que des instances judiciaires. Cela contribua peut-être à l’échec de cette Landfriede qui céda le pas à un nouveau règlement dès 1378.

Le fait est que le comité de Landfriede ressuscita dans la paix du 1er septembre 1378, valable jusqu’au 2 février 1382. Dans l’intervalle, le cercle des villes signataires de la Paix avait fondu comme neige au soleil : Schweinfurt était à nouveau concédée, Rothenbourg avait préféré la ligue urbaine souabe à la Landfriede franconienne. Le comité illustre la faiblesse des villes impériales du pays. Nuremberg, Windsheim et Wissembourg n’y obtinrent que deux sièges, contre quatre pour les évêques, princes, comtes et barons, sous la présidence du comte Gottfried von Rieneck nommé par Charles IV 941 . Nuremberg recevait le comité des « 7 » dans ses murs à chacun des quatre-temps.

La montée des antagonismes et la guerre des villes mirent un terme pour quelques années aux efforts de paix régionaux. Au lendemain des hostilités militaires, la Paix d’Eger reçut une variante franconienne 942 . Cette paix, établie le 5 mai 1389 pour 6 ans, recherchait la conciliation, de telle sorte qu’elle donna finalement aux villes impériales franconiennes plus d’avantages que la Paix précédente. Le commandant choisi était un homme de compromis, qui fut membre de la ligue urbaine souabe en 1387, le comte Johann von Wertheim. Pour le comité, les princes électeurs, princes, comtes et sires devaient désigner quatre hommes, les villes également. Les cités signataires, Ratisbonne, Nuremberg et Wissembourg, étaient donc au large au départ. Mais Windsheim entra dans la Paix le 20 mai, Rothenbourg la suivit après 6 semaines d’hésitation, tandis que Schweinfurt fit de même à une date inconnue. Alors en froid avec l’évêque de Würzbourg à propos des compétences de leurs tribunaux respectifs, les trois cités impériales retardataires durent se contenter de la place qu’on voulut bien leur laisser au comité, puisqu’il y avait désormais 6 villes participantes pour seulement 4 sièges disponibles. Au vu des allées et venues régulières du représentant de Nuremberg, Berthold Pfinzing 943 , il est clair que Nuremberg ne céda sa place à personne. Malgré son éloignement, Ratisbonne détenait elle aussi un des sièges urbains, qu’elle occupa jusqu’en 1397 944 . Les autres villes n’avaient donc plus qu’à se partager les sièges. Il apparaît en 1393 que Rothenbourg et Schweinfurt envoyaient tour à tour un de leur conseiller représenter les deux villes le temps d’une année 945 . On peut supposer que Windsheim et Wissembourg firent de même. Les « petites villes », évincées par les grandes, en étaient réduites à un rôle subalterne dans l’organe exécutif de la Paix. Nuremberg ne parvint pas cependant à retenir le comité dans ses murs. Quatre fois dans l’année, les réunions alternaient entre Würzbourg, Neustadt, Bamberg et Nuremberg.

Prolongée en 1395, la Landfriede fonctionna sans doute selon les mêmes principes et reçut successivement deux nouveaux commandants, Appel Fuchs von Stockheim et le comte Berthold von Henneberg. A en croire le chroniqueur de Schweinfurt, Nicolaus Sprenger, le comité prononça ses jugements cette année-là à Nuremberg, Ansbach, Bamberg, Rothenbourg et Neustadt/Aisch.

La Paix du 20 septembre 1397, dont le roi Wenceslas voulait faire un rempart contre le désordre et le pillage,eut d’abord une dimension strictement militaire et ne fut dotée d’un comité exécutif qu’en 1398 946 . Présidé par le burgrave Frédéric de Nuremberg, il était réduit à 6 membres choisis par les participants à l’édit. Le commandant de la Landfriede pouvait les réunir selon les besoins. Ils devaient jurer d’être des juges impartiaux et le commandant devait les laisser juger les hommes nuisibles et de mauvaise réputation. Nuremberg et Wissembourg signèrent l’édit de paix dès sa conclusion, Windsheim et Schweinfurt les rejoignirent dans un délai d’un mois, mais la répartition des sièges reste une inconnue.

En 1403, sur la base de négociations princières, le roi Ruprecht proclama à Mergentheim un édit de paix 947 , dont seul le commandant est mentionné. Il n’y avait donc pas de comité. On avait manifestement prévu de laisser les jugements de Landfriede aux tribunaux ordinaires : les plaintes contre un bourgeois devaient se faire devant son tribunal municipal, les plaintes contre une ville d’empire devant le roi et son conseil. Les plaintes contre une ville seigneuriale relevaient de son seigneur territorial. Si la plainte n’était pas entendue en justice dans un délai d’un mois, le commandant de la Paix devait aider le plaignant avec le secours des autres princes, barons et villes 948 .

Friedrich Schenk zu Limpurg fut confirmé dans ses fonctions de « Gemeiner Oberman », à la tête de la Paix de 1404. A la demande des forces du pays qui réclamaient d’urgence une amélioration du traité, il reçut pour trois ans l’assistance de quatre délégués nobiliaires et quatre représentants urbains 949 , qui devaient se réunir à Würzbourg, Neustadt/Aisch, Bamberg ou Nuremberg. Mais dès décembre 1405, le comité s’enrichit de deux nouveaux membres, sans doute dans le respect de l’équilibre villes/nobles. Toutes les villes impériales purent alors y être représentées 950 . Après un renouvellement de la Paix en 1407, il en fut ainsi jusqu’à la mort du roi Ruprecht en 1410.

Après une interruption de 4 ans, le roi Sigismond établit en 1414 une Landfriede pour le pays de Franconie placée sous le commandement du chevalier Ehrenfrid von Seckendorf. Elle devait comporter comme la paix précédente un conseil de 10 membres. Fonctionnant au ralenti pendant trois ans, elle fut néanmoins prolongée en 1417, apparemment en vain.

Malgré une tentative de paix royale en 1423 951 , c’est seulement en 1427 que les états franconiens s’unirent à nouveau pour deux ans, mais en leur propre nom 952 . Le comité reçut un « oberman » dont les membres avaient convenu, Erkinger von Saunsheim. Sous son égide, trois représentants des princes et trois des villes d'empire signataires, Nuremberg, Windsheim et Wissenbourg, devaient aider ceux qui avaient subi des torts 953 . Leurs rencontres étaient programmées quatre fois l’an « dans chacune des villes de Bamberg, Würzbourg, Nuremberg ou Neustadt/Aisch, comme précédemment, pour y mener les audiences et s’entretenir des nécessités de cette union et du pays ».

Les villes signataires des édits de paix ne parvinrent pas toujours à se faire entendre dans les instances chargées d’assurer la paix régionale. Sur la longue durée, jamais le commandement n’échut à un homme issu de leurs rangs ; ce fut tour à tour le commandant désigné par l’empereur ou celui voulu par les princes. Toutefois, sur près d’un siècle, une certaine volonté d’équilibre entre les forces du pays permit aux villes d’intervenir quasiment à égalité avec les princes et les nobles. L’existence d’un comité, de même que la parité entre le groupe nobiliaire et les villes en son sein, étaient des conditions nécessaires au bon fonctionnement de la Paix régionale. Chaque fois que le souverain ou les princes cherchèrent à se passer d’un comité, la Landfriede fut vouée à l’échec. Le roi n’eut pas la main longtemps sur les membres du comité directeur. Le processus d’émancipation que les villes avaient entamé dans leurs murs à l’égard des écoutêtes se prolongea au dehors et procura aux conseils, probablement dès 1353, le libre choix de leurs représentants. Cela marqua le début de la spécialisation de quelques conseillers, tels Berthold Pfinzing de Nuremberg, Heinrich Toppler de Rothenbourg et Hans Nüsser de Schweinfurt dans les années 1390.

En supposant que chaque représentant n’avait qu’une voix, avec l’appui du commandant de Landfriede, les états nobles atteignaient dans tous les cas le seuil stratégique de la majorité. Dans le cadre d’un scrutin majoritaire entre les représentants présents, une participation sans faille s’imposait donc à qui voulait emporter la décision. Pour se faire entendre, les villes impériales membres du comité devaient se plier à une assiduité exemplaire dans les institutions communes. Elles avaient sous cette condition une véritable capacité d’intervention. Leurs intérêts pouvaient s’allier à ceux du souverain, représenté par le commandant, et donc triompher de l’avis des princes, barons et chevaliers. Les textes d’union eux-mêmes en apportent la preuve. En 1340, la Paix n’accordait encore sa protection qu’aux diocèses, églises, couvents, clercs réguliers, juifs et bétail. Mais dès 1353, les villes parvinrent à insérer dans la liste leurs propres ressortissants. Aux curés, clercs, chevaliers, écuyers, pélerins, paysans et juifs, s’ajoutèrent donc les marchands, les bourgeois et autres « unversprochene Leute ». Tous devaient pouvoir circuler en paix et en sécurité dans la zone de Landfriede, de même que leurs biens 954 . Les villes ne furent sans doute pas non plus les dernières à inscrire dans les textes d’union le respect des privilèges. Tout en reconnaissant la nécessité de juridictions d’exception destinées à garantir la paix, les signataires dans leur ensemble ménagèrent leurs propres droits et libertés judiciaires. Aux yeux de tous les participants, la Landfriede ne devait porter atteinte ni à leur souveraineté, ni à leurs tribunaux, pas plus qu’à leurs privilèges, droits et coutumes 955 . Malgré la présence fugace de villes seigneuriales parmi les leaders des édits de paix franconiens, les accords de paix exprimèrent avant tout la volonté des villes d’empire. Il n’est donc pas surprenant de trouver dans le texte des Landfrieden quelques articles défendant les intérêts spécifiques de cette catégorie urbaine. Les édits de paix de 1368 et 1371 rappelèrent ainsi que personne ne devait prendre en gage ou attaquer les villes d’empire ou n’importe qui d’autre pour un grief contre l’empereur 956 . La condamnation se précisa en 1377 : « Les mises en gage de l’empereur, du roi, des siens et des villes de l’empire sont exclues ».

Les instances dirigeantes des Landfrieden offraient aux villes signataires des occasions de rencontres régulières, à termes fixes, au moins quatre fois l’an. Nuremberg fut de tous les comités et put souvent tirer profit de réunions qui se déroulaient sur son sol. La présence d’un Landvogt, d’un Landgericht actif, au moins autant que la puissance de la ville, avaient concouru au départ à lui donner cet atout. Ses dirigeants surent l’exploiter afin de jouer un rôle actif dans les échanges épistolaires liés à la Paix et ils devinrent des interlocuteurs privilégiés des commandants de Paix successifs. Sous la pression des princes, la ville dut néanmoins assez vite partager son rôle de siège du comité avec les villes-phares des seigneurs territoriaux locaux : Bamberg, Würzbourg et Neustadt/Aisch.

Dans les âpres négociations qui précédaient la mise en place d’une Landfriede les villes signataires n’obtinrent pas forcément des sièges en suffisance pour asseoir chacun de leurs représentants. Nuremberg n’en souffrit jamais, mais des cités moins puissantes ou moins assidues dans l’institution locale durent par intervalles se contenter d’un strapontin. Elles ne semblent pas l’avoir accepté de bon cœur. Schweinfurt et Rothenbourg, contraintes d’alterner au comité dans les années 1393-1394, se plaignirent de n’avoir pas été traitées à l’égale des autres membres de la Paix. Cet état de fait renforça néanmoins leurs liens. Leur représentant commun devait être instruit des vœux et décisions de chacune, puis rapporter sans faute le contenu des débats aux deux villes mandataires.

Si l’on parvient à peu près à les villes siégeant au comité, le secret qui entourait les décisions de ce conseil laisse malgré tout subsister quelques incertitudes. Votait-on par ordre ? Y avait-il un banc des villes et un ordre honorifique entre les cités membres ? Chaque ville avait-elle vraiment une seule voix ? Nuremberg parvint-elle à s’arroger deux représentants au début du XVe siècle ? Les sources manquent pour le dire avec certitude.

Notes
932.

Le fonctionnement et le rôle du comité est défini dans les édits de paix eux-mêmes. Pour les références de ces textes, voir le tableau récapitulatif sur les édits de paix franconiens.

933.

Les secrétaires de la Landfriede sont connus au travers de sources conservées pour la plupart aux Staatsarchiv de Nuremberg.

934.

Cf. Gerhard Pfeiffer, « Die königlichen Landfriedenseinungen in Franken », dans Patze (éd.), Der deutsche Territorialstaat im 14. Jahrhundert, 1971, p. 229 et s., ici p. 250

935.

donc le deuxième dimanche de Carême.

936.

La chancellerie de la Landfriede révèle par là ses liens avec la chancellerie du Landgericht de Nuremberg. Les secrétaires de la Landfriede furent souvent d’origine nurembergeoise. A cet office se succédèrent : Friedrich Ebner (1340), Ulrich von Ernbach (1353), Heinrich Bock (1368) ; Ulrich Kudorfer (1371-1389), Hans Seereuther (1404-1414)

937.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°46a.

938.

Les protocoles du conseil nurembergeois procurent un regard sur les coulisses de cet édit de paix. Ils témoignent des difficultés à trouver un commandant qui convienne à tous les partis et soulignent les résistances parmi les barons et les agents du roi. Cf. K. Ruser, Die Urkunden und Akten…, n°1253

939.

 Cf. K. Ruser, Die Urkunden und Akten…, n°1311 et n°1313

940.

Le tribunal d’Auerbach jugeait les cas pour l’empereur et le roi « diesseits des Waldes », de ce côté-ci de la forêt, en Nouvelle-Bohême. Le Landgericht de Nuremberg intervenait au nom de l’empire. Les princes participants purent désigner des assesseurs : l’évêque de Spire nomma son Amtmann de Bischofsheim, l’évêque de Würzbourg, son Amtmann de Iphofen, l’évêque de Bamberg et le comte de Trüdingen celui de Forchheim, l’évêque d’Eichstätt celui de Spalt, les comtes palatins celui de Neumarkt pour leurs terres en Bavière et celui de Lauda pour leurs terres de Mosbach jusqu’en Franconie, les ducs de Bavière le commandant de Hersbruck, les margraves de Meissen l’Amtmann de Cobourg, le burgrave de Nuremberg et le comte de Wertheim celui de Neustadt, les landgraves celui d’Auerbach, les sires de Rieneck, de Hohenlohe, de Brauneck l’Amtmann d’Uffenheim, le sire de Heideck celui de Spalt. Cf. K. Ruser, Die Urkunden und Akten…, n°1314, p.1283, article 7

941.

Il est très rapidement remplacé par le chevalier Friedrich von Streitberg. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°125, 128

942.

La Landfriede d’Eger, qui mit fin à la guerre des villes, fut promulguée par grands secteurs géographiques, en Rhénanie, en Bavière, en Souabe, en Franconie, en Hesse, en Thuringe et Meissen.

943.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen… n°153, 161, 162, 166, 167, 170, 174, 178 etc.

944.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…n°156 : dépenses pour un messager nurembergeois chargé de courir à Ratisbonne pour leur dire d’envoyer un membre de leur conseil à la Landfriede à Nuremberg (décembre 1389).

En 1391, après que Hans Gräfenreuther a représenté Ratisbonne à la Landfriede, Konrad Enickel s’engage par serment à siéger un an à la Landfriede et à s’y rendre avec son propre cheval et à ses propres frais. Il reçoit pour cela un dédommagement annuel de 300 florins. Il tient ce rôle jusqu’à ce qu’Augsbourg ne sorte de la Landfriede bavaroise et franconienne en 1397. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°176

945.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°236 et n°255 : en septembre 1393, le mandat du conseiller de Schweinfurt, Hans Nüsser, touche à sa fin. Le conseil de Schweinfurt demande donc par lettre à Rothenbourg d’envoyer un de ses délégués à la Landfriede et de lui confier la représentation de Schweinfurt pour que la Landfriede ne connaisse pas de retard du fait des deux villes.

946.

L’accord du 20 septembre 1397 prévoit cependant que si les princes ou les villes demandent au commandant d’assiéger un château, il doit agir dans les 8 jours après décision à la majorité de 3 représentants des princes et de 3 représentants des villes. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°361, article 3

947.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, p. 199 et s., n°400. Friedrich Schenk zu Limpurg en reçoit le commandement.

948.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°400, article 3

949.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, p. 417 et s., n°417. Les villes impériales signataires de la Paix sont Nuremberg, Rothenbourg, Schweinfurt, Windsheim et Wissembourg. Un siège fait donc défaut pour qu’elles soient toutes représentées au comité. Rothenbourg dispose d’un siège, occupé en 1405 par Hans Spörlein. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°431. Au vu d’une lettre de Nuremberg à Windsheim le 26/07/1406 (StAN, BB1, fol. 136), il semble probable que Windsheim et Schweinfurt se partageaient un même siège.

950.

D’après les missives adressées par Nuremberg aux quatre autres villes impériales franconiennes, elles semblent l’être effectivement et participent régulièrement aux réunions du comité. Il reste néanmoins quelques incertitudes. A cette période, Nuremberg paye les déplacements de deux de ses conseillers vers les réunions de Landfriede. Dans quel but si la ville n’avait pas deux sièges ?

951.

Cf. StAN, BB6, fol.76 ; Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°736 : Nuremberg annonce au protonotaire royal que la Landfriede scellée par le roi le 24/11/1423 n’a pas encore eu cours à cause de l’article 49 (Les membres de l’union qui ne respectent pas la paix conclue entre le margrave de Brandebourg et le duc Louis de Bavière ne doivent pas recevoir l’aide de la Landfriede). On est persuadé à Nuremberg que sans cet article, la Landfriede aurait été acceptée.

952.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, p. 747, n° 696. Erkinger von Saunsheim est choisi pour commandant de l’union.

953.

A nouveau, les comptes de Nuremberg montrent que deux conseillers nurembergeois font le déplacement aux réunions de Paix. Dans la plupart des cas, il s’agissait de Peter Volkmeir et de Anton Derrer

954.

La Paix de 1427 ajouta encore à la liste les transporteurs. Voir G. Pfeiffer, Quellen…, n°1 (1340) ; n°24 (1353), en particulier l’article 5 ; n°747

955.

Voir G. Pfeiffer, Quellen…, Landfriede de 1377, n° 110, p. 76, article 24

956.

Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n°73, p. 62, article 26. La même mesure est reprise dans la Landfriede de 1377. Cf. G. Pfeiffer, Quellen…, n° 110, p. 76, article 23