Un choix entre diverses coutumes intercommunales

Les cités impériales franconiennes qui étaient géographiquement les plus proches de la Souabe furent, toujours, et sans surprise, les plus enclines à entrer dans la ligue urbaine souabe. Leurs intérêts urbains pouvaient en effet rejoindre ceux de la majorité des villes de la ligue. Leurs besoins avaient quelque chance d’être tenus pour prioritaires par le comité exécutif qui définissait les orientations générales de la ligue. Quand le directoire oeuvrait contre les comtes d’Öttingen, Rothenbourg ou Wissembourg étaient concernées au même titre que beaucoup d’autres membres souabes et profitaient des mesures communes. La conjonction entre intérêt général et intérêt particulier se révélait par contre plus délicate pour les autres villes franconiennes. Hormis les conflits généraux avec le margrave de Brandebourg ou la circulation des marchands jusqu’aux foires de Nördlingen, qui touchaient aussi une partie de la Souabe, leurs affaires avaient peu de chances d’être jugées cruciales par le comité directeur de la ligue. Sans cela, il ne fallait compter ni sur une aide financière, ni sur un secours judiciaire des autres membres. Alors à quoi bon rechercher des alliances lointaines et leur fournir hommes et argent ?

Pour l’ensemble des villes franconiennes, qu’elles en fussent proches ou éloignées, entrer dans la ligue urbaine souabe revenait aussi à adopter une forme d’intercommunalité qui n’était pas la leur. Elles y prenaient part à grand renfort de clauses particulières, veillaient à se faire aménager des concessions, qu’elles obtenaient dans la plupart des cas. Même Rothenbourg conserva toujours des réserves à l’égard de la politique générale de la ligue et ne fut jamais encline à suivre sans conditions la volonté de la majorité des villes souabes. En 1378, elle s’assura que la ligue ne porterait pas atteinte à l’autorité du Landgericht de Rothenbourg. En 1430, elle se singularisa, de même que Nördlingen, en posant son veto contre une alliance de la ligue avec la société de l’écu Saint-Georges. Trois ans plus tard, elle refusa de participer à un don en argent de la ligue pour le roi et son chancelier, puis soumit sa reconduction de l’union à des conditions financières ou militaires 1034 . Tout comme Rothenbourg, Nuremberg se tenait pour un membre « extérieur » de la ligue, une invitée, qui participait à l’alliance urbaine souabe sans en être vraiment. Alors qu’elle avait participé à la ligue urbaine souabe de la fin du XIVe siècle et qu’elle appartenait à l’organisation depuis 1444, Nuremberg considérait encore en 1447, les usages de la ligue comme des coutumes étrangères :

« Vous nous avez écrit comment la coutume de nos bons amis des villes de notre union et de la vôtre était auparavant de s’enquérir assez longtemps avant la fin de cette union de son prolongement auprès des princes avec lesquels les villes étaient également alliées » 1035 .’

En somme, la place naturelle des villes impériales franconiennes était dans les alliances locales, pas dans celles du pays voisin. Celles-ci ne furent jamais qu’un pis-aller au cas où les réseaux politiques franconiens s’avéraient absents ou trop faibles. L’appartenance aux deux types de réseaux politiques devait néanmoins rester exclusive. Lorsque Rothenbourg et Wissembourg se retrouvèrent dans une situation de cumul en 1414, elles eurent à s’en justifier auprès de la ligue urbaine souabe. Rothenbourg fit valoir que sa participation à la Landfriede franconienne répondait aux souhaits du roi et que son existence même en dépendait : « la ville qui ne le ferait pas, il la tiendrait pour désobéissante ». « Leur situation était telle qu’ils ne pouvaient espérer se conserver sans la Landfriede » 1036 .

Entrer dans la ligue souabe impliquait l’adoption d’une constitution intercommunale étrangère, opposée en plusieurs points à la tradition franconienne. C’était accepter de se soumettre à la volonté de villes nombreuses, où une multitude de petites cités, dotées chacune d’une voix, pouvait emporter une décision. Qu’on songe au fossé qu’il en résultait pour les villes impériales franconiennes habituées à décider en collège de 5 tout au plus. Les petites villes franconiennes, comme Wissembourg, purent trouver dans ces caractéristiques intercommunales souabes de quoi les satisfaire. En adhérant à la ligue urbaine souabe, elles sortaient de la tutelle directe de Nuremberg, se démarquaient de la « grande ville » franconienne au profit de la présidence moins pesante exercée par Ulm. Elles pouvaient aussi espérer former un réel groupe de pression avec d’autres localités de même rang, toutes pourvues d’une voix au comité 1037 . A l’inverse, la ligue urbaine souabe signifiait pour Nuremberg un plus grand partage des prérogatives intercommunales que dans les réseaux franconiens, puisque c’était à Ulm ou Ravensbourg que revenaient traditionnellement la présidence du comité et le siège de l’union.

Avec la ligue urbaine souabe allaient aussi des pratiques « démocratiques » qui pouvaient prêter à réfléchir 1038 . Ainsi au moins dans les années 1380, la ligue urbaine souabe semblait exiger de ses futurs membres un serment qui impliquait non seulement le petit conseil, mais encore la communauté (ou ses représentants du grand conseil). En ce sens, l’intercommunalité souabe se calquait sur les constitutions municipales de ses principales protagonistes, ouvertes à l’influence des grands conseils et des métiers, à l’exemple de celle d’Ulm. En Souabe, l’intercommunalité relevait de toute la communauté. Soumise à cette règle, Schweinfurt paraît s’y être pliée de bonne grâce, même si son chroniqueur releva l’événement comme quelque chose d’exceptionnel. En cette année, « Ruprecht Herberkorn, Heintz Greussing, Richolff Nurmberger et Englerth Symert secrétaire municipal de l’honorable conseil de Schweinfurt ont juré aux villes de la ligue […] une union de 12 ans et tous les bourgeois de Schweinfurt ont dû aussi jurer la ligue ». Toute la communauté de Rothenbourg se prêta sans doute à une prestation de serment similaire. Mais le conseil de Nuremberg n’accepta pas si facilement de soumettre les relations intercommunales à l’agrément de l’ensemble des bourgeois. Aux dires d’une chronique nurembergeoise, en 1382, le gouvernement urbain reçut fraîchement les légats de Rothenbourg qui proposaient de soumettre à l’ensemble de la communauté bourgeoise 1039 l’adhésion de Nuremberg à la ligue urbaine souabe.

Notes
1034.

Ainsi le 21 janvier 1440, figure à l’ordre du jour de l’assemblée de la ligue une demande de Rothenbourg pour une réduction de son « anzal » de 400 à 300, puisqu’elle devait souvent compter sur elle seule pour s’en sortir. Cf. Harro Blezinger, Der Schwäbische Städtebund in den Jahren 1438-1445, Stuttgart, 1954, p.143

1035.

Cf. StAN, BB18, fol. 360, lettre de Nuremberg à Ulm (09/10/1447)

1036.

« welhiu stat dez nicht taete, die welle er halten ungehorsam », « das ir ding also gelegen und gestalt sei, das sie ane den lantfride nicht beliben mugen ». Cf. RTA VII 271, n°178. Malgré sa puissance, la ligue urbaine souabe restait une protection lointaine. Face aux menaces qui pesaient sur elles en Franconie, la participation des villes franconiennes aux édits de paix régionaux formait un indispensable rempart.

1037.

Les participations financières à la ligue urbaine souabe, qui reflètent peu ou prou, la hiérarchie des villes et leur rang respectif révèlent cette profusion de petites villes impériales parmi les 31 membres de la ligue en 1446. 11 villes payent plus de 200 florins à la ligue urbaine en 1446 : Augsbourg, Nuremberg, Ulm, Esslingen, Rothenbourg, Nördlingen, Schwäbisch Hall, Memmingen, Heilbronn, Schaffhausen, Reutlingen. 7 villes payent une cotisation strictement inférieure à 200 florins et supérieure à 100 : Rotweil, Ravensbourg, Biberach, Dinkelsbühl, Donauwörth, Kaufbeuren, Windsheim.

13 villes acquittent une somme inférieure ou égale à 100 florins : Schwäbisch Gmünd, Weil, Kempten, Wimpfen, Pfullendorf, Wangen, Isny, Giengen, Wissembourg, Bopfingen, Aalen, Radolfzell, Leutkirch. Cf. Harro Blezinger, Der Schwäbische Städtebund in den Jahren 1438-1445, Stuttgart, 1954.

1038.

On ne doit pas en déduire que la politique de la ligue urbaine souabe était faite par les corporations. Les représentants urbains qui siégeaient au comité de la ligue n’étaient pas issus des métiers, même dans les villes impériales souabes. Il en est ainsi des Ehinger et Kraft, des Neithard et des Besserer d’Ulm, de Jeronimus von Bopfingen, Hans Ainkürn ou Martin Nauer de Nördlingen ou Hans Kreglinger de Rothenbourg. Cf. Erich Maschke, « Verfassung und soziale Kräfte in der deutschen Stadt des späten Mittelalters, vornehmlich in Oberdeutschland », Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte 46 (1959), p. 289 et s., p. 433 et s. – Du même, « Continuité sociale et histoire urbaine médiévale », Annales 15 (1960), p. 936 et s.

1039.

Cf. Städtechronik 1, p.135 et s. Evoqué par H. Heimpel dans Hermann Heimpel, « Nürnberg und das Reich des Mittelalters », Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte 24 (1961), p. 231 et s.