Deux sondages effectués sur les Briefbücher nurembergeois en 1405 et en 1446 permettent de jauger la part des « chers amis », et au-delà, des villes, dans les lettres annuelles envoyées par Nuremberg.
En 1405, 320 missives et lettres ouvertes sont consignées dans le Briefbuch 1 de Nuremberg et se destinent à 172 correspondants différents. Les « chers amis » y sont au nombre de 32 et représentent 18% des destinataires. 84 lettres, au contenu parfois identique, sont destinées cette année-là à des villes, toutes notoires. Ces missives urbaines constituent 26% du volume épistolaire annuel.
Tandis que chaque destinataire reçoit en moyenne en cours d’année 1,88 lettre, quelques bénéficiaires se hissent au-dessus de la mêlée en 1405. En tête viennent la ville impériale franconienne de Rothenbourg et le roi, tous deux récepteurs de 11 lettres. Quelques princes, laïcs ou ecclésiastiques, se disputent le deuxième rang : le duc Jean de Bavière, l’évêque de Bamberg font chacun l’objet de 10 lettres. Villes, comtes et barons se mêlent ensuite parmi les récepteurs de 6 ou 7 lettres annuelles. Les quelque 150 destinataires restants se contentent de moins.
Principaux destinataires des lettres nurembergeoises en 1405 | Nombre de lettres envoyées par Nuremberg |
Roi des Romains | 11 |
Rothenbourg/Tauber | 11 |
Duc Jean de Bavière (+ Ernst de Bavière) | 10 (+ 4) |
Evêque de Bamberg | 10 |
Wissembourg | 7 |
Landshut | 7 |
Albrecht d’Egloffstein | 7 |
Comtes d’Öttingen | 7 |
Membres de la lignée Seckendorf | 7 |
Sweicker von Gundelfingen | 7 |
Evêque de Mayence | 6 |
Burgrave de Nuremberg | 6 |
Augsbourg | 6 |
Le Briefbuch 18 ne restitue pas l’intégralité de l’année 1446. Mais du 14 juillet à la fin décembre, 375 missives nurembergeoises se succèdent dans le registre. Sur cet ensemble, 126 lettres, qui peuvent avoir été envoyées à plusieurs destinataires, vont à des « Lieben Freunde », soit 33% du volume épistolaire total.
Sur 181 destinataires, les « chers amis » sont au nombre de 40 (22% des destinataires). S’y insèrent cette fois plusieurs localités au statut mal défini comme Baiersdorf, Lobenstein ou Deckendorf.
Les principaux correspondants nurembergeois se répartissent alors comme suit :
Principaux destinataires des lettres nurembergeoises en 1446 | Nombre de lettres envoyées par Nuremberg |
Evêque de Würzbourg | 26 |
Ulm | 24 |
Ducs et duchesses de Saxe | 19 |
Augsbourg | 13 |
Margraves de Brandebourg | 13 |
Wissembourg | 11 |
Rothenbourg | 8 |
Sire de Murach | 8 |
Evêque de Bamberg | 6 |
Sires de Wolfstein | 6 |
Windsheim | 6 |
Ces deux exemples montrent qu’en poids numérique, les relations interurbaines ne doivent pas être surestimées. Les écrits municipaux témoignent d’une communication entre villes qui n’excède guère le tiers des correspondances du conseil nurembergeois. Les 2/3 restants se tournent vers des particuliers, des princes, des barons, des évêques, des officiers divers et quelques bourgeois. Les villes s’inscrivent avant tout dans un environnement féodal, auquel elles sont intimement liées par des relations directes ou épistolaires. Les cités et les nobles du voisinage entretiennent par exemple une sociabilité étroite, alimentée par les nombreux séjours des nobles en ville, la fréquentation commune de réunions impériales ou des missions diplomatiques conjointes 1148 . Les principaux correspondants nobiliaires de Nuremberg évoluent fortement entre 1405 et 1446. En 1405, les lettres se tournent en majorité vers le Sud, la Bavière, la Souabe… Les correspondances de 1446 parlent au contraire de liens forts avec le Nord de la Franconie, l’évêque de Würzbourg, ou les ducs de Saxe. En dépit (ou à cause) des frictions régulières avec les margraves de Brandebourg, les relations épistolaires entretenues entre la ville et les anciens burgraves de Nuremberg, se maintiennent à des niveaux élevés de 1405 à 1446. Les relations avec l’évêque de Würzbourg, les ducs de Saxe ou les ducs de Bavière semblent plus versatiles et varient au gré des traités politiques ou militaires.
Parmi ses plus gros destinataires, Nuremberg mêle les cités et le monde nobiliaire régional. Il se trouve toujours trois ou quatre villes parmi les dix premiers bénéficiaires du courrier nurembergeois. Les destinataires « amis » ne l’emportent jamais par le nombre. Cumulés, ils représentent 18% des destinataires en 1405 et 22% en 1446. Mais leur fréquentation est plus intense que celle des autres correspondants. Le nombre de lettres envoyé en moyenne à chacun des « chers amis » dépasse largement la moyenne générale : 2,62 contre 1,88 en 1405 ; 3,15 contre 2,1 en 1446. Le cercle des « chers amis » coïncide donc avec une communication plus suivie et plus approfondie qu’avec la masse des destinataires..
Derrière les « chers amis » se cachent toutes les villes en contact avec Nuremberg. Dans le cadre de cette étude, il importait donc de prêter une plus grande attention au cercle des amis. Un relevé, réalisé sur 16 années-témoins, de 1405 à 1470, permet de cerner davantage leur place effective dans les correspondances nurembergeoises.
Année | Nbre de « chers amis » | Nbre de lettres aux « chers amis » | Nbre moyen de lettres par « ami » | Nbre total de lettres estimé | % du total des lettres annuelles envoyé aux « chers amis » |
1405 | 32 | 84 | 2,63 | 320 | 26 |
1406 | 38 | 83 | 2,18 | 227 | 36 |
1407 | 36 | 71 | 1,97 | 199 | 36 |
1408 | 38 | 79 | 2,08 | 241 | 33 |
1409 | 43 | 85 | 1,98 | 228 | 37 |
1410 | 40 | 96 | 2,4 | 193 | 50 |
1411 | 45 | 126 | 2,8 | 265 | 47 |
1412
(année incomplète) |
25 | 47 | 1,88 | 232 | 22 |
1422 | 37 | 113 | 3,05 | 274 | 41 |
1423 | 41 | 116 | 2,82 | 228 | 51 |
1424 | 69 | 128 | 1,86 | 210 | 61 |
1425 | 42 | 84 | 2 | 245 | 34 |
1446
(année incomplète) |
40 | 123 | 3,08 | 728 | 24 |
1447 | 62 | 309 | 4,98 | 802 | 38 |
1469 | 38 | 66 | 1,73 | 294 | 22 |
1470 | 33 | 52 | 1,58 | 230 | 23 |
Annuellement, la cité impériale franconienne entrait au contact d’environ 42 communautés « amies ». Ce chiffre connaît quelques fluctuations et oscille entre 32 en 1405 et 69 en 1424. Il n’atteste donc pas d’une évolution linéaire : de 1405 à 1470, les correspondants amis de Nuremberg ne connurent pas une progression constante.
Les maxima, observés en 1424 et 1447, avec respectivement 69 et 62 « chers amis », coïncident avec deux événements particuliers. En 1424, Nuremberg écrit en effet à un vaste bataillon d’autorités dans et hors de l’empire pour annoncer le dépôt des reliques impériales dans la ville 1149 . 44 cités se trouvent concernées par ce seul communiqué. Des correspondantes habituelles de Nuremberg y côtoient des partenaires épistolaires beaucoup plus occasionnels. On convia pour l’événement Aix-la-Chapelle, Amberg, Augsbourg, Bâle, Bamberg, Berne, Brisach, Bruxelles, Cobourg, Colmar et son union, Cologne, Constance et son union, Erfurt et son union, Eger, Eichstätt, Francfort, Gand, Halberstadt, Hall, Heilbronn, Landshut, Leipzig, Lièges, Louvain, Magdebourg, Mayence, Mecheln, Meissen, Mersebourg, Munich, Neunbourg, Passau, Ratisbonne, Schafhouse, Schweinfurt, Spire, Strasbourg, Straubing, Ulm et son union, Vienne, Wimpfen, Worms, Würzbourg, Zurich et son union.
Le sursaut de 1447 témoigne à son tour d’une diversification exceptionnelle des correspondants « amis ». Cette année-là, dans un contexte de durcissement des relations avec le parti margravial, Nuremberg, avide d’informations sur les mouvements de troupes, contacta, souvent à titre unique, des destinataires peu habituels : Bosna, Budissin, Cracovie, Einbeck, Satz… Quelques lettres à des communautés rurales ou des bourgades vinrent encore agrandir le cercle des communautés destinataires (Markt Hannbach, Markt Windsberg, Dorf Saunsheim).
Plutôt que ces nombres exceptionnels, mais peu représentatifs, il convient cependant de retenir, pour Nuremberg, la moyenne de ses destinataires « amis » : 42 communautés. Ce sont ces destinataires ordinaires qui illustrent la véritable étendue du champ d’action municipal et déterminent le cadre quotidien de l’intercommunalité nurembergeoise. C’est bien une communication privilégiée entre villes qui se met en place dans ce contexte. Dans l’année, le conseil nurembergeois écrit plus fréquemment à ses amis des villes qu’il ne le fait en moyenne. Il contacte chacun de ses homologues urbains près de 2 fois dans l’année en moyenne, quand ce n’est pas 5 fois comme en 1447. Les données obtenues en 1469 et 1470 jettent cependant une ombre au tableau. Plus basses que d’ordinaire (1,73 et 1,76 lettres en moyenne), elles semblent témoigner d’un net ralentissement des échanges épistolaires interurbains, qui demanderait à être confirmé.
Pour ne pas se perdre en vaines louanges sur l’ampleur des relations interurbaines nurembergeoises, la comparaison de ces chiffres avec ceux de Bâle ou de Rothenbourg apporte de précieux éclairages.
Le grand rayonnement politique de Nuremberg s’exprime indéniablement dans le nombre moyen de correspondants urbains dont la ville peut s’enorgueillir chaque année. Les quelque 42 communes « amies » contactées chaque année éclipsent largement les 26 destinataires urbains de Bâle ou les 15 « amis »qui bénéficient en cours d’année des lettres de Rothenbourg. Pour Bâle, les correspondantes les plus éloignées géographiquement se nomment Francfort, Mayence, Cologne ou Nuremberg. La capitale franconienne parvient quant à elle à contacter des villes comme la russe Lemberg, Cracovie, Valence en Espagne, Lübeck ou Venise.
Nuremberg pousse ses contacts interurbains plus loin que ses consoeurs. Mais elle n’est pas la championne de l’intercommunalité. Bâle présente en effet, dans ses correspondances, des relations interurbaines beaucoup plus intenses et plus nourries que la capitale franconienne. Parmi ses destinataires, comme dans le volume total de lettres, la part des villes atteint respectivement 36% et 48% (contre environ 20% des destinataires et 38% du volume de lettres pour Nuremberg). Au quotidien, Bâle se confronte ainsi plus fortement au milieu urbain que Nuremberg. Ses correspondances atteignent des sommets avec quelques cités choisies. Parmi les villes avec lesquelles Bâle cultive des relations, Strasbourg présente une large avance. Première ville destinatrice sur le long terme, il lui arrive de recevoir 33 lettres annuelles en provenance de Bâle. Mulhouse, Rheinfelden, Solothurn, Berne ou Zürich bénéficient elles aussi de ces affinités épistolaires. Le cercle des correspondantes régulières de Bâle se recrute donc parmi les villes de Haute-Rhénanie et d’Alsace, en somme, parmi des villes du voisinage, distantes tout au plus de 60 kilomètres.
Année | Nbre de villes destinataires | Nbre de lettres à des villes | % de villes parmi les destinataires | % envoyé à des villes sur le volume total des lettres |
1410 | 32 | 62 | 41,6% | 24% |
1425 | 35 | 165 | 28% | 66% |
1439 | 21 | 33 | 52,5% | 59% |
1470 | 21 | 58 | 30% | 51% |
1500 | 17 | 57 | 28% | 40% |
Rothenbourg accorde par contre une place encore plus réduite que Nuremberg aux contacts interurbains. Elle ne compte guère que 15 correspondants municipaux dans ses destinataires annuels et consacre une assez faible proportion de ses lettres aux échanges avec ses pairs. Par contraste avec la diversité des correspondants nurembergeois, Rothenbourg donne l’image d’une ville impériale engoncée dans son environnement territorial. La ville sur la Tauber est avant tout en contact avec des puissances et des cités du voisinage, dont Nuremberg, à 75 kilomètres de là par la route, est l’une des plus éloignées. Ses plus importants destinataires se recrutent parmi le margrave de Brandebourg, l’évêque de Würzbourg et ses représentants, les officiers seigneuriaux administrant les villes de Uffenheim, Crailsheim ou Creglingen, les comtes de Hohenlohe et les villes impériales de Dinkelsbühl, Hall, Windsheim et Nuremberg. Ce n’est qu’à titre exceptionnel, pour une lettre sans lendemain, que les écrits rothenbourgeois portent jusqu’à Stuttgart ou à Strasbourg.
Année | Nbre de chers amis destinataires | Nbre de lettres à des chers amis | % de villes parmi les destinataires | % envoyé à des villes sur le volume total des lettres |
1501 | 10 | 37 | 11,7% | 21% |
1502 | 18 | 38 | 20% | 26% |
1512 | 9 | ? | ? | ? |
1515 | 19 | 36 | 13% | 26% |
Voir Joseph Morsel, Une société politique en Franconie à la fin du Moyen Âge : les Thüngen, leurs princes, leurs pairs et leurs hommes (1275-1525), Stuttgart, 2000,(Beihefte der Francia 49)
Cf. StAN, BB6, fol. 80
Données établies d’après Christoph Grolimund, Die Briefe der Stadt Basel im 15. Jahrhundert, Tübingen, Bâle, 1995. Voir tableaux récapitulatifs des destinataires en annexe