Les amies éloignées

Au Nord

Centrées sur la Franconie, les correspondances de Nuremberg regardent peu vers les villes du Nord de l’empire. Les « amies » du conseil y sont dispersées et rares : Lübeck, Leipzig, Chemnitz, Danzig, Cracovie, Saalfeld, Magdebourg… Nombre d’entre elles ne sont contactées que très épisodiquement. Seules Lübeck, Erfurt, et dans une moindre mesure Leipzig, font vraiment figure de relais. Les missives de Nuremberg ne sont ainsi qu’une nouvelle preuve du fossé de communication qui partageait l’empire au Nord de Francfort et de la Wetterau. A la rareté des échanges municipaux entre les deux zones s’ajoute encore ici l’obstacle de la langue, puisque l’on voit le conseil nurembergeois écrire le plus souvent à Lübeck en langue latine. Encore, Lübeck et Leipzig 1158 ne sont-elles contactées que pour des affaires opposant leurs bourgeois et marchands à ceux de Nuremberg. En cela, les missives témoignent de l’activité importante déployée par les commerçants nurembergeois jusqu’en Baltique. Mais les relations des conseils ne sont guère plus approfondies : on s’en tient de part et d’autre à la gestion des conflits entre particuliers. Erfurt s’avère en définitive au Nord la dernière amie fidèle de Nuremberg. Leur correspondance abondante (30 lettres reçues par Nuremberg en 1449-1457) s’explique en partie par des échanges commerciaux denses entre leurs bourgeois. Les marchands d’Erfurt faisaient de Nuremberg une étape, un lieu de redistribution, pour leurs ballots de guède, vendus ensuite dans les villes de production souabes et bavaroises axées sur le textile. Inversement, ceux de Nuremberg semblaient vendre auprès des bourgeois d’Erfurt vin et produits métallurgiques. Des litiges ne manquaient pas de naître de ces étroites imbrications commerciales et familiales :

« Vous nous avez écrit à propos de Conrad Wolf votre concitoyen auquel Philipp Bewrlein, notre bourgeois défunt, resterait redevable et vous rappelez dans votre lettre que nous avions alors écrit à votre honneur en réponse à votre première lettre et que nous avons interrogé à ce propos la veuve de Philipp Bewrlein et elle a répondu qu’elle n’avait connaissance d’aucune dette dont son époux défunt serait resté redevable envers votre concitoyen. Mais si votre concitoyen pense qu’il a des réclamations à faire envers la veuve de notre susdit bourgeois, nous voulons volontiers l’aider à obtenir justice sans retard, lui ou son représentant doté de ses pleins pouvoirs, si nous sommes avertis pour cela alors que notre bourgeoise est chez elle. Chers amis, votre sagesse comprendra bien que, suite à cela et à cette réponse, nous avons suffisamment offert justice au vôtre face à notre bourgeoise, et il nous semble malhonnête de sa part de négliger cette offre. Vous écrivez que, sinon, il va devoir songer à réclamer justice envers les nôtres où il le peut, dans d’autres lieux. Nous pensons que cela n’est pas nécessaire de sa part et de la vôtre et qu’il n’était pas besoin de nous écrire si vigoureusement, car les vôtres se rendent (wandeln) chez nous aussi bien que les nôtres chez vous et nous sommes volontiers prêts à être favorables et serviables envers les vôtres selon votre volonté. Nous espérons la même chose en retour de votre amitié et sommes persuadés que vous retiendrez votre bourgeois afin qu’il n’engage pas des poursuites contre les nôtres en d’autres endroits » 1159 . ’

Mais, comme tend à le prouver cette lettre, les imbrications et la réciprocité des intérêts étaient telles que les conseils d’Erfurt et de Nuremberg se voyaient contraint d’entretenir l’amitié à tout prix. De fait, les deux gouvernements urbains traitent ensemble davantage que des conflits entre particuliers. En 1405, Nuremberg accorde son entremise et son arbitrage dans un litige opposant Erfurt et le burgrave Johann 1160 . Pendant la guerre margraviale, en 1449, la ville d’Erfurt s’inquiète plusieurs fois du sort de la ville impériale franconienne 1161 , puis reçoit elle-même l’aide de büchsenmeister venus de Nuremberg. La cité thuringienne transmet en outre en 1455 une copie de ses libertés vis-à-vis des tribunaux westphaliens, et bénéficie en retour du concours de Nuremberg pour un bourgeois d’Erfurt emprisonné à Baiersdorf 1162 .

Notes
1158.

Cf. Dieter Rübsamen, Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen, 1997. Entre 1449 et 1457, les conseils de Nuremberg et de Leipzig s’affairent par exemple à régler plusieurs litiges entre leurs bourgeois respectifs. L’un oppose Heinz Mugenhofer, bourgeois de Leipzig, à Jacob Sachsen, bourgeois de Nuremberg, en raison d’un problème d’héritage. Une autre querelle naît entre Heinrich Spörlein, de Nuremberg, et Hans Vischer, bourgeois de Leipzig. Une exception confirme la règle en 1455-1456. Exceptionnellement, ces années-là, les deux conseils traitent de la sortie de deux frères dominicains du couvent nurembergeois pour mener une réforme du couvent dominicain Saint Paul à Leipzig, voir n° 6336, 6781

1159.

StAN, BB 1, fol. 113v (1409 ; missive barrée)

1160.

Cf. StAN, BB 1, fol. 12v et 25

1161.

Cf. Dieter Rübsamen, Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen, 1997, n° 353 et 651 ; n° 1329

1162.

Cf. Dieter Rübsamen, Das Briefeingangsregister des Nürnberger Rates für die Jahre 1449-1457, Sigmaringen, 1997, n° 2990, 6385 ; 6451, 6496, 6910, 7034